Début 2024, la Thaïlande a proposé l’idée d’un visa commun pour six pays de l’Asean, visant à attirer davantage de touristes et à simplifier les formalités pour les voyageurs en Asie du Sud-Est. Bien que cette initiative puisse générer des avantages significatifs, sa mise en œuvre semble être au point mort.

Un projet ambitieux pour simplifier les démarches administratives des touristes

Du 23 au 25 février, le Ministre des Affaires thaïlandais Maris Sangiampongsa s’est rendu en visite officielle au Vietnam. Lors de sa rencontre avec le Premier Ministre vietnamien, Sangiampongsa a tenu à rappeler l’importance de la coopération entre les deux pays, particulièrement dans les domaines de l’économie et du tourisme. Les deux dirigeants ont exprimé leur volonté de renforcer leur collaboration sur ces sujets en abordant à nouveau le projet “Six Countries, One Destination”. 

Proposé pour la première fois au début de l’année 2024 à l’initiative de la Thaïlande, le projet « Six Pays, Une Seule Destination » vise à instaurer un visa commun pour six pays de l’ASEAN : la Thaïlande, le Vietnam, le Cambodge, la Malaisie, le Laos et le Myanmar. Des discussions sont également en cours pour inclure Singapour dans cette liste.

La simplification des formalités administratives rendrait les démarches des voyageurs bien plus fluides, les incitant à se rendre dans plusieurs pays lors d’un même séjour, et représenterait donc une opportunité colossale pour le tourisme régional. Cette initiative vise ainsi à rendre l’Asie du Sud-Est plus accessible et à encourager les flux de visiteurs entre voisins. 

Elle serait même complétée par la création d’itinéraires simplifiés permettant de visiter tous les sites UNESCO facilement, entraînant un regain d’intérêt pour les cultures asiatiques. Les gouvernements prenant part au projet parlent également de synchroniser les célébrations traditionnelles, telles que le Nouvel An Thai-Lao-Khmer et le Nouvel An Chinois, dans un calendrier de festivals encourageant les touristes à y participer par le biais de promotions sur les hôtels. 

Une mise en place qui se fait attendre

Ce projet n’est pas le premier de ce genre à être discuté. Depuis les années 1990, période durant laquelle l’Asie du Sud a connu une croissance touristique, des mesures similaires ont émergé. Toutefois, elles sont systématiquement restées au stade d’ébauche. En 2010, une idée vietnamienne prometteuse envisageait d’unifier le tourisme au sein des pays bordant le Mékong, mais elle n’a jamais vu le jour. 

La région, aujourd’hui destination phare pour les touristes internationaux, n’a pas su tirer plein avantage de son succès lors de son explosion en instaurant une collaboration sur le long terme. 

Les éventuels bénéfices pour le tourisme thaïlandais

Pourtant, une collaboration qui reprendrait les codes de l’espace Schengen serait une véritable aubaine pour stimuler la croissance économique et le tourisme intra-régional. 

Depuis la sortie de la pandémie, la demande touristique des pays tels que la Thaïlande ou le Vietnam a explosé. Ces destinations phares ont vu un afflux important de backpackers et digital nomads se presser à leurs frontières, s’ajoutant à la fidèle clientèle asiatique qui représente près de 80% des arrivées. Selon la Banque mondiale, la Thaïlande a réussi à surmonter les impacts du Covid sur le tourisme et devrait, avec une prévision d’environ 39 millions de visiteurs, dépasser son niveau d’avant-pandémie dès 2025.

Grâce à ses procédures de visa plus simples que celles de ses pairs, le Royaume a reçu en 2023 près de 35 millions de voyageurs, représentant la moitié des 70 millions ayant visité l’Asie du Sud-Est. 

La Thaïlande exempte en effet 93 pays de demande de visa – dont les très stratégiques Chine et Inde – contre seulement 26 pour le Vietnam. “Six Countries, One Destination” serait ainsi un coup de pouce supplémentaire pour soutenir le tourisme thaïlandais et relancer une économie parfois chancelante.

Certains espèrent également voir le projet mené à bien dans l’espoir que ces avancées administratives iront au-delà du tourisme, et mèneront à terme à des simplifications de visas étudiants ou de permis de travail pour les locaux.

Pourquoi le projet stagne-t-il ?

Si les bénéfices de “Six Countries, One Destination” semble avoir des bénéfices mutuels à toutes les parties, pourquoi les dirigeants semblent-ils réticents à l’exécuter ?

Dans un premier temps, il est ardu de trouver un accord commun. Lorsque le Myanmar a été ajouté à la liste des pays membres du projet, les autres partis concernés ont eu un mouvement de recul. 

À cause du coup d’État armé de 2021 et de la situation politique qui en découle, le Myanmar renvoie actuellement une image qui effraie les touristes et à laquelle ses voisins ne veulent pas nécessairement être associés. Le Myanmar a alors été remplacé par Brunei. 

D’autres hésitations diplomatiques ont également entravé les négociations, comme lorsque Phnom Penh a refusé de confirmer la déclaration thaïlandaise affirmant que le Cambodge soutenait le projet. 

L’engagement financier élevé représente au même titre un frein potentiel. Afin d’accueillir des vagues massives de touristes et leur assurer un voyage sans contraintes, les gouvernements doivent être prêts à adapter leurs bureaucraties et moderniser leurs infrastructures. Améliorer les douanes, les installations d’hébergement et ajouter des voies de communication aériennes, fluviales, et routières – tout cela a un coût qui peut rebuter. 

Enfin, il est possible que pour plusieurs destinations, le projet n’ait pas l’effet escompté. Si les frontières s’ouvrent, les pays entreront certainement dans une compétition pour obtenir la faveur des touristes, créant potentiellement des manques à gagner ou des pertes du côté des destinations délaissées. 

Certains peinent d’ailleurs à voir les bénéfices que la Thaïlande tirerait d’un visa commun, et craignent qu’elle ne devienne un simple point de passage par lequel les touristes transitent sans réellement s’y arrêter. 

Ce projet devrait-il rester à l’état de simple ébauche ?

Malgré les avantages évidents de “Six Countries, One Destination”, on peut s’inquiéter des conséquences qu’aura un afflux de visiteurs sur des destinations déjà vulnérables.

La simplification des visas est une incitation au surtourisme et à la concurrence entre destinations. Il est à parier que pour rester compétitif, les locaux joueront sur les singularités de leur pays afin d’être attractifs – une commercialisation des traditions qui peut être néfaste pour leur authenticité et leur longévité. En outre, les aménagements apporteront avec eux leur lot de conséquences écologiques : commercialisation d’espaces naturels, dégradation des lieux, érosion des écosystèmes… 

À l’heure où de plus en plus de voyageurs sont à la recherche d’expériences authentiques et durables, espérons que les plans des gouvernements aspirent à un tourisme responsable, respectueux des communautés locales, et préservant leur intégrité culturelle.

Pour l’heure, l’initiative n’en est qu’à l’étape des discussions. Les porte-paroles de plusieurs pays concernés ont affirmé être ouverts à ce projet, tout en souhaitant réfléchir davantage avant de s’engager – ce qui, en langage diplomatique, laisse entendre des délais relativement longs avant que le projet ne décolle. En attendant, la Thaïlande demeure le leader incontesté et, grâce à ses infrastructures touristiques bien établies, dispose de tous les atouts pour rallier ses voisins et transformer cet objectif en réalité.

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