Empower est une organisation visant à défendre et donner des droits aux travailleuses du sexe en Thaïlande.
Après 30 années de luttes sur le terrain, Empower souhaite à l’avenir ouvrir au public un musée retraçant l’histoire de la prostitution dans le Royaume et leurs activités aux côtés des travailleuses du sexe.
Empower, qu’est-ce que c’est ?
Le nom de l’organisation fait référence à ce concept anglophone souvent utilisé dans les projets de développements qui veut que des personnes puissent acquérir des compétences et des habilités de manière à être plus autonomes dans leurs choix.
En somme, valoriser les personnes et leur estime de soi tout en leur offrant la possibilité de choisir en connaissance de causes, choisir de se prostituer ou d’arrêter de le faire, sans que la société ne leur colle une étiquette, sans que la morale sociale ou religieuse n’intervienne dans le débat.
Pour rester en bonne santé, lestravailleurs du sexe en Thaïlande ont besoin des mêmes protections et avantages accordés aux autres travailleurs et citoyens.
peut-on lire sur le site internet de l’association
En thaï, le nom officiel résume bien la visée du projet Empower : มูลนิธิส่งเสริมโอกาสผู้หญิง Muniti Song Saraem Okat Puying, soit littéralement « la fondation pour promouvoir les opportunités des femmes ».
Cours d’anglais et d’autodéfense
Depuis plus de 30 ans, l’association vise ainsi à ce que ces femmes gagnent du pouvoir sur elles-mêmes tout en leur enseignant ou fournissant des connaissances sur les maladies sexuellement transmissibles ou sur leurs droits.
Elle propose également aux volontaires des cours d’anglais, ou de thaï pour les migrantes, des leçons de self-défense ou encore des activités artistiques, confirmant le motto d’Empower : Learning by doing (Apprendre en faisant).
Au total, depuis la création de l’organisation, entre 30 000 et 50 000 travailleuses du sexe ont à un moment ou un autre été impliquées dans les différents programmes ou activités d’Empower.
Un bar modèle, un musée et un dictionnaire
Pour faire parler de leurs luttes de manière originales, la fondation Empower a ouvert il y a quelques années un bar modèle à Chiang Maï : le Can Do Bar.
Celui-ci se veut autogéré, égalitaire et respectueux, autant des clients que des droits et des choix des travailleuses du sexe sur place.
Sous l’impulsion de la directrice des programmes d’Empower, Chantawipa Noi Apisuk, un musée (This is Us Museum) a été mis en place à Nonthaburi, au nord-ouest de Bangkok.
Sur une centaine de mètres carrés, ce musée retrace l’histoire de la prostitution dans le Royaume, depuis les temps d’Ayutthaya en passant par les bordels de Chinatown, jusqu’aux Entertainment Complex qui bordent Ratchadapisek Road à Bangkok.
La seconde partie du musée présente les activités propres à l’organisation et aux activités des travailleuses du sexe : de la boite à outil pleine de capotes au ring pour les cours de boxe, en passant par les poupées Kunming.
Ces dernières sont une représentation des migrantes de Birmanie qui rêvent de pouvoir se déplacer et émigrer aussi librement que les poupées qu’elles ont réalisées. Contrairement à elles, ces poupées en papier mâché voyagent dans le monde entier par l’intermédiaire de sympathisants d’Empower.
Prostituées ou travailleuses du sexe ?
A ce jour, ce musée n’est pas accessible à tout le monde. Toutefois, Noï Apisuk nous a informé que c’est le projet de l’organisation de l’ouvrir au public à moyen terme.
Outre le musée et des livres retraçant le parcours personnel de prostitué-es, un dictionnaire compilé et publié par la fondation donne des définitions de mots ordinairement associés à la prostitution (Bad Girls Dictionnary).
Le but de ces définitions est de changer de registre ces termes en mettant en avant les qualités, les compétences, la force et la dignité des travailleurs et travailleuses de l’industrie du sexe. En résumé, en anglais, to get empowered.
Les enjeux actuels
Tout au long des trente années de la fondation, les enjeux ont évolué, passant de la tragédie soudaine du Sida dans les années 90 aux problématiques plus récentes de genre et de migrations dans la région.
Aujourd’hui, l’enjeu des débats selon Noï Apisuk repose sur la reconnaissance des personnes prostituées et leur décriminalisation.
Cette reconnaissance passe par la fin des discriminations et des préjugés que subissent les prostituées dans leurs activités.
Surtout, Empower vise à faire reconnaître socialement que les travailleuses du sexe ont des compétences qu’elles font valoir, comme pour chaque profession.
Loin d’être uniquement sexuel, leur activité regorge de connaissances, de techniques et de qualités autant physiques qu’intellectuelles qu’elles utilisent à bon escient pour que le client et elle-même reparte sans dommages.
Une légalisation demandée par l’ONU
L’ONU a rendu public en 2012 un rapport de 226 pages consacré aux conséquences de la criminalisation de la prostitution sur la vie des travailleurs et travailleuses du sexe, et la transmission du HIV, dans 48 pays Asie dont la Thaïlande.
L’ONU a interrogé des travailleuses du sexe dans 48 pays à travers l’Asie pour déterminer comment le lois sur la prostitution affectent leur sécurité, leur santé et leurs familles.
Les principales conclusion du rapport vont dans le sens d’une légalisation de la prostitution, car partout où elle est interdite la répression précarise les travailleuses du sexe, favorise la diffusion du HIV, et sert en premier lieu à remplir les poches des intermédiaires et de la police.
Du travail, sans faire la morale
L’enjeu derrière cette reconnaissance qu’elles exercent un métier est bien entendu qu’elles obtiennent des droits comme chaque citoyen et que la prostitution soit décriminalisée.
Comme nous l’a directement dit Noï Apisuk, « l’enjeu actuel repose sur la décriminalisation de la prostitution, autant des prostituées que des clients ».
Contre ceux qui veulent criminaliser le client et les ONG de la Rescue Industry qui entendent « sauver » les prostituées, Empower soutient que seul la décriminalisation et plus de droits aura un impact positif pour celles qui choisissent de se prostituer. Amnesty International soutient la même proposition à l’échelle internationale.
Enfin, pour combattre les clichés et la mauvaise image accolée aux travailleuses du sexe, Empower met en avant qu’elles jouent souvent un rôle social et économique majeur dans leur communauté ou au sein de leur famille, devenant souvent le gagne-pain principal.
L’organisation met en avant que l’air de rien, elles ramènent de l’argent dans leur foyer, leur communauté voire leur pays, s’occupent souvent de leurs parents, de leurs enfants, ou bien payent pour que le petit-frère puisse devenir moine novice dans un temple…
Empower entend ainsi que les travailleuses du sexe ne reçoivent pas de leçons de morale.