La constitution de 1997 a permis d’évoluer vers une plus réelle égalité homme/femme grâce à l’instauration de certains mécanismes. Ainsi, une commission des droits de l’Homme a été mise en place, entre autres, pour protéger les femmes.
Les violences à leur encontre (physique, psychologique, sexuelle) qui peuvent se manifester au domicile, au travail, dans la vie sociale sont en effet souvent regardées comme une affaire privée et non comme un problème social. Par ailleurs, les divers projets de développement sur le statut de la femme ont été entravés par la bureaucratie.
Le WDP pour 2002-2006 identifie les stratégies pour améliorer le statut des femmes: transformation des attitudes sociales par le biais de l’éducation; objectif de 50% de femmes aux «postes décisionnels» dans l’administration; promotion de l’égalité par de nouvelles lois; extension des services sociaux aux femmes; promotion des femmes dans l’activité économique et politique à travers les médias qui donnent encore un portrait trop traditionnel et sexuel de la femme…
Même si ce plan est indicatif, il témoigne d’une prise de conscience de plus en plus forte. Un changement d’attitude de la gente masculine, à savoir l’abandon d’idées préconçues dues à des facteurs historico-culturels, serait un progrès considérable. Or l’éradication de la discrimination basée sur le genre ne peut se faire par des prescriptions, mais demande d’étudier les spécificités de la société thaïlandaise à travers son histoire, sa culture et ses valeurs (famille, éducation, religion…).
Education :un rattrapage récent
La position sociale statutairement inférieure des femmes les a conduites à un faible niveau d’éducation. Dans le passé, les femmes avaient des opportunités restreintes car elles n’avaient aucun rôle social en dehors de la famille. Durant la période du roi Narai (1649-1681), la haute société envoyait les filles en formation au palais, leur éducation portant sur la littérature, les arts… les femmes du commun ne recevant pas d’éducation.
Ce n’est qu’en 1782, au début de la période Rattanakosin, qu’elles eurent davantage d’opportunités éducatives, bien que cela fusse limité aux familles de la haute société. Cette période fut marquée par une ouverture vers l’Occident, mais l’essentiel de la littérature de ce siècle enseigne aux mères d’accepter la soumission au père et de l’enseigner à leurs filles. Durant le règne de Rama IV (1851-1868), plusieurs progrès furent enregistrés mais toujours réservés à la haute société.
Les femmes missionnaires étrangères et les femmes de missionnaires étrangers furent autorisées à enseigner aux jeunes filles de la Cour, et pour la première fois des femmes partirent à l’étranger pour compléter leur éducation. La première femme professeur du royaume fut la princesse Pichitjirabha, qui fonda l’école de filles Rajini. Sous le règne de Rama V, la reine accepta la demande croissante des femmes d’avoir l’opportunité d’une éducation équivalente aux hommes, non pour les concurrencer mais pour mieux les préparer à éduquer leurs enfants. Les femmes purent commencer à recevoir une formation supérieure en 1927 avec la création de l’université Chulalongkorn. Cependant, en 1952, un faible pourcentage de filles était éligible pour continuer leur éducation après l’école primaire, comparativement aux garçons.
Selon les sources du National Statistics Office (Bureau des statistiques), le taux d’alphabétisation des femmes était d’environ 60% en 1960, puis de 91% (contre 95% pour les hommes) en 2000. On notera que les taux d’alphabétisation des 15-24 ans restent stables autour de 98% et sont équivalents pour les hommes et les femmes (2000). Concernant le niveau d’éducation, le pourcentage de filles dans les différents niveaux scolaires (primaire, secondaire, supérieur), selon le ministère de l’Education, est similaire à celui des garçons depuis les années 90, ce qui montre l’équivalence des opportunités d’études pour les filles, qui choisissent en priorité les arts et la médecine.
En Thaïlande, où l’enseignement est basé sur la transmission d’un savoir – ce qui développe peu l’esprit analytique et critique – l’éducation se caractérise davantage par une approche des rôles traditionnels. Selon Suteera Vichitranonda, présidente de l’Institut de Recherches sur le Genre et le Développement, l’éducation doit donner aux femmes trois qualités: la capacité d’agir sur leurs conditions de vie et de se prendre en charge, la connaissance de leurs droits égaux en matière d’éducation, d’emploi, de rôle politique et de statut et la possibilité d’être des agents du changement social grâce aux médias, aux programmes de développement, à l’enseignement et à une meilleure représentation dans les organismes de décision.
La formation continue informelle est très variée et constitue une alternative pour des gens qui ne peuvent pas avoir accès à l’éducation formelle, ce qui est important pour les femmes notamment dans le milieu rural. Le ministère de l’Agriculture développe des programmes de formation, mais le niveau général d’éducation des femmes dans les campagnes reste globalement assez bas.
Politique et administration :un nouvel espoir
La culture et les nécessités d’une vie de famille ont maintenu les femmes loin de la politique. Le rôle des femmes des classes supérieures se résumait à la pratique religieuse et à former des alliances politiques. En 1932, les femmes ont obtenu le droit de vote et l’éligibilité, mais ceci ne s’est pas traduit par un nombre significatif de femmes élues. Il s’agissait pour l’essentiel d’épouses de leaders politiques. Mais la tendance est favorable. En 1949, la première femme fut élue au Parlement, leur nombre passa à 9 (3%) en 1979, puis à 15 (4,2%) en 1992. Les femmes ne sont pas apolitiques. Ainsi, aux législatives de 1996, elles représentèrent 52,4% des électeurs éligibles et 53,5% des votants et présentèrent 360 candidates d’âges, de régions, de professions, de niveaux d’éducation très différents, une grande partie étant des femmes d’affaires, dont 22 furent élues, soit 5,6% de députés. En 2001, les femmes représentaient 9,4% des députés (47 sièges) et 10,5% des sénateurs (chiffres du ministère de l’Intérieur). Si on considère l’ensemble du personnel politique et de l’administration, on arrive à une moyenne de 21% pour les cadres au niveau national et à moins de 10% au niveau local (1).
Aujourd’hui, les femmes peuvent être considérées comme politiquement actives. Cependant, le pouvoir de décision et le contrôle des leviers politiques restent principalement entre les mains des hommes. Leur rôle dans la vie politique nationale et locale est encore limité et il y a encore peu de femmes à la direction des partis, des gouvernements et à la tête des administrations, même si le personnel féminin est supérieur à 50% dans la plupart des ministères. Dans l’administration centrale, il n’y a pas de discrimination féminine pour les promotions mais la pratique fait que leur avancement est plus lent, même si leur nombre augmente sensiblement. De même dans des administrations du type «National Statistics Office», peu de femmes se retrouvent au niveau décisionnel. Pour la première fois, les autorités ont fixé comme règlement un quota de 50% pour les femmes dans les comités de gestion des fonds communaux alloués à chaque village. En 2002, le gouvernement a approuvé la création d’un poste «pour le respect de l’égalité des sexes» dans chaque département ministériel et dans chaque agence gouvernementale. Même si des budgets ont été mis en place, un problème se pose quant à l’adéquation de ces budgets et à leur pleine utilisation.
Souvent, l’engagement politique est plus considéré comme un jeu, permettant prestige, statut, avantages. Mais les femmes représentent un nouvel espoir et véhiculent une image beaucoup plus positive sur la scène politique. Les mouvements féminins, qui luttent d’abord pour la condition féminine, sont tombés dans des discours bureaucratiques de gestion de projets et de fait sont souvent éphémères. Les femmes participent souvent aux mouvements sociaux de protestation – concernant l’environnement, la politique, les projets d’infrastructures -, protestations non basées sur l’inégalité des sexes. Souvent elles réussissent mieux dans les négociations avec les autorités gouvernementales; plus flexibles, plus diplomates, plus réalistes que les hommes, elles négocient d’abord au niveau local et résolvent des problèmes locaux, car elles sont garantes de la stabilité des villages, et développent graduellement le niveau de négociation avec les autorités provinciales puis nationales. En Thaïlande aussi, la femme est l’avenir de l’homme!
Michel Picavet Professeur à l’EDHEC, chef de projet Asie, conférencier à ABAC, auteur de plusieurs articles sur la Thaïlande dans les revues Péninsule et Journal of ABAC.
(1) Source: Gender and Development Research Institute