Selon la société de sondages Yougov, plus d’un Thaïlandais sur cinq aurait subi un harcèlement sexuel en 2019. Les cas répétés de violences faites aux femmes en Thaïlande ne se raréfient pas et sont étouffés par le silence des victimes.

Les consciences semblent lentes à s’éveiller sur un fait sociétal bien ancré. En Thaïlande, trop nombreux sont encore les cas d’abus sexuels et de harcèlement, les hommes étant presque autant touchés que les femmes.

Seulement, si devant la justice les coupables risquent gros, nombre d’entre eux ne répondront pas de leurs torts, car très peu d’agressions sont dénoncées. 

La culture du silence : le tabou de l’agression protège les coupables

Les chiffres alarmants ne semblent pas rompre la logique du silence. Selon l’enquête de Yougov, 10% seulement des victimes d’agressions sexuelles seraient allées les reporter à la police, ceci majoritairement à cause d’une gêne (46%), de la sensation que personne ne fera rien de leur aveu (27%), de la peur des répercussions (25%) ou encore de la pression culturelle et sociétale (25%).

La forme de harcèlement sexuel la plus répandue selon YouGov est l’agression sexuelle (44%). Viennent ensuite les commentaires verbaux à caractère sexuel (42%), les flashs (35%) et les invitations persistantes et indésirables de nature sexuelle (27%).

Les milieux professionnels, terreaux du harcèlement sexuel
Les milieux professionnels, terreaux du harcèlement sexuel

Ces facteurs permettent de souligner le tabou autour de l’acte sexuel non consenti ; souvent, c’est la victime qui se sent honteuse et coupable, intériorisant l’agression et excluant toute possibilité de dénonciation. 

En outre, un besoin culturel de protéger « l’honneur de la famille » pousse les victimes de harcèlement sexuel au silence. En clair, être agressée et le reporter, c’est montrer sa faiblesse, faire potentiellement honte à sa famille et s’exposer au risque du victim blaming et de la décrédibilisation. 

En 2020, cinq professeurs et deux élèves ont été accusés de viols répétés sur deux filles de 14 et 16 ans, dans une école publique dans la province de Mukdahan. Ce n’est qu’un an après le début des agressions que la grand-mère d’une des élèves l’apprenne et les signale à la police: les victimes s’étaient tues sous les menaces des agresseurs. 

Dans les écoles et au travail, le risque du silence est démultiplié par les pressions de personnes ayant autorité sur les victimes. En effet, les cas où les agresseurs abusent de leur position hiérarchique pour faire taire la victime sont trop bien connus.

Diffusion de mensonges ou de vidéos, licenciement, échec aux examens, autant de types de chantages qui participent à ce si faible pourcentage de dénonciations.

Il y a eu peu de plaintes par le passé parce que les victimes ont peur de leurs harceleurs qui sont généralement leurs patrons. Nous devons nous assurer qu’elles sont protégées et ne seront pas licenciées ou bloquées dans leur ascension professionnelle.

Usa Lerdsrisuntad, directrice du programme de la fondation thaïlandaise pour les femmes. 

Les milieux professionnels, terreaux du harcèlement sexuel

Violence sexuelle la plus courante, le harcèlement sexuel au travail est encore normalisé en Thaïlande et crée un environnement hostile et dangereux pour les employées. En plus de ses conséquences psychologiques, il existe un coût économique non négligeable dû à la perte de productivité que provoque l’insécurisation de l’environnement professionnel.  

La prise de conscience de l’existence de ce fait dans le milieu professionnel est lente, mais pousse progressivement les victimes à se rendre compte de la gravité de ces actes, dont on diminue l’importance en les considérant comme une « drague lourde ». Minimiser du harcèlement sexuel en ce terme, contribue à la culture du silence, si abstraite et difficile à démanteler.

Le caractère “répété” et “dégradant” de ces “propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste” doit permettre d’alerter les témoins ou victimes (définition du harcèlement sexuel).

En revanche, il faut différencier le harcèlement sexuel de l’agression sexuelle, qui elle “implique un contact physique” ; c’est un acte ponctuel, à dissocier de la réitération qui définit le harcèlement.

Les lacunes de la loi découragent les victimes de porter plainte

En plus de cette culture du silence, facteur social qui empêche les victimes de témoigner, on peut expliquer la perpétuation de crimes sexuels par les lacunes de la loi et du système juridique thaïlandais. La loi n’offre pas de définition du harcèlement sexuel, d’abord. Comment dénoncer un crime dont l’existence n’est pas statuée par une définition juridique ?

“L’établissement d’une définition standard de ce qui constitue la violence et le harcèlement peut être la première étape pour tracer une ligne internationalement reconnue à ne pas franchir.”, a affirmé le Thailand Development Research Institute (TDRI) concernant une éventuelle définition internationale de ces termes dans le cadre du travail.

En outre, des ambiguïtés mènent les victimes à ne pas se plaindre, puisqu’elles ne seront pas certaines de l’illégalité de ce qu’elles ont subi. Par exemple, la juridiction sur le travail protège les employées d’abus de leurs supérieurs, mais pas de leurs collègues.

Les femmes thaïlandaises sont protégées verticalement, d’abus de positions qui favoriseraient les crimes sexuels, mais pas horizontalement. En outre, la Thaïlande n’offre pas de protection pour les travailleurs informels, du secteur privé.

Ce qui est globalement montré du doigt, c’est l’impunité des agresseurs. Pourtant, la Thaïlande est l’un des pays d’Asie du Sud-Est où les criminels risquent les plus lourdes sanctions, allant jusqu’à la condamnation à mort. Mais en réalité, ce genre de peines est très rarement appliqué, les juges permettant de les alléger. 

Selon les données de la police royale thaïlandaise, en 2019, 1965 plaintes pour viol ont été déposées, et 1893 d’entre elles ont conduit à des arrestations. Mais il est difficile de savoir si ces dernières mènent à des condamnations effectives. 

La culture du viol et du silence se perpétue par la socialisation 

Les instances de socialisation telles que l’école, les médias de masse ou la famille jouent un rôle primordial dans la formation des normes et des valeurs. Ce sont les paramètres sur lesquels agir afin d’étouffer à la racine la culture du silence, les violences sexuelles et plus globalement les inégalités hommes femmes, qui sont aujourd’hui intériorisées à cause d’une éducation défaillante.

L’éducation « ethnocentrée », « ultranationaliste » thaïlandaise, selon les mots de l’éditorialiste du Bangkok post Sanitsuda Ekachai, “perpétue la hiérarchie sociale et maintient les femmes à leur place” en paralysant les consciences. Elle contribue à pérenniser et intérioriser un certain nombre de valeurs dès le petit âge, sans permettre de remettre en question des principes établi

L’école inculque chez les enfants une certaine soumission à l’autorité qui est dangereuse lorsqu’elle étouffe la lucidité de dénoncer les aberrations qui les entourent. On reproduit ce que l’on a appris ; ces valeurs profondément implantées deviennent celles des petites générations.

Sanitsuda Ekachai

D’autre part, la culture du viol est très présente dans les séries thaïlandaises grand public, dont 80% comportaient des scènes de viol en 2016 (https://www.thailande-fr.com/societe/53987-sexe-divertissement-legalite-genres-thailande), or le cinéma et la culture contribue largement à modeler les moeurs d’un pays.

Du travail à faire sur la prise de consciences

En 2019, la Convention C190 sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail s’est tenue à Bangkok.  Première de sa catégorie, cette convention est une bonne nouvelle en ce qui concerne la considération de ces problématiques. Toutefois, comme le rappelle Mr Pakorn Nilprapunt, Secrétaire général de l’office du Conseil d’État thaïlandais, « la loi n’est pas la scène finale ».

Des mesures concrètes doivent être adoptées pour changer les mentalités. Lutter contre la culture du silence sur les violences sexuelles en Thaïlande, commence par l’éducation d’une nouvelle génération consciente, à laquelle on donnerait les moyens de détecter et signaler contre des abus.

Ainsi, la mise en place de campagnes de prévention est nécessaire pour éduquer la population aux comportements à adopter s’ils sont témoins, voire victimes d’agression et de harcèlement sexuel. Comprendre que ce à quoi on assiste n’est pas normal, est la première étape pour faire passer du rôle de spectateur à celui d’acteur. 

En avril 2020, le royaume a néanmoins promis de mettre en place un centre d’accueil à Bangkok, sans rendez-vous, où l’on pourrait venir signaler des violences sexuelles.  « Le Premier ministre a souligné que des mesures disciplinaires seront prises [contre les coupables], et les personnes qui portent plainte sont protégées », a déclaré le ministre du Développement social et de la Sécurité Publique, Juti Krairerk.

D’autre part, la Thaïlande manque cruellement de statistiques, n’ayant jamais mené d’enquête nationale sur les abus sexuels. La base de données mondiale des violences faites aux femmes de l’ONU, qui utilise des statistiques nationales, n’est donc pas en mesure d’indiquer de chiffres concernant la Thaïlande: la mention « Official National Statistics Not Available » en dit long. Or, mettre des chiffres sur des faits est nécessaire dans le processus d’éveil des consciences.

1 comment
  1. « En Thaïlande, trop nombreux sont encore les cas d’abus sexuels et de harcèlement, les hommes étant presque autant touchés que les femmes. »… Sait-on par qui les hommes sont-ils harcelés ?

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