La diffusion de câbles diplomatiques américains sur internet par le site Wikileaks a fait l’effet d’une bombe dans le monde de la diplomate internationale. Parmi les nombreux documents publiés, certains mettent à jour la lutte d’influence entre la Russie et les États-Unis autour de l’extradition de Viktor Bout par la Thaïlande.
Récemment le site d’information a mis la main sur plus de 250 000 télégrammes destinés au Département d’Etat des États-Unis et envoyés par les diplomates américains postés aux quatre coins du monde. Parmi eux figurent ceux en provenance de l’ambassadeur américain en Thaïlande Eric G John, et qui concernent l’affaire Viktor Bout. D’autres câbles font également référence a des hommes politiques ou a la monarchie et aux problèmes liés a une éventuelle succession dans la famille royale
Viktor Bout, une délicate affaire pour les États-Unis
Viktor Bout a été arrêté à Bangkok en 2008 grâce à une opération menée par des agents du FBI se faisant passer pour des membres des FARC (Les Forces armées révolutionnaires de Colombie – principale guérilla communiste colombienne ) voulant acheter des armes.
Mais l’extradition n’a pas été une chose facile à obtenir. En août 2009, un tribunal thaïlandais refuse dans un premier temps l’extradition de Viktor Bout. Le juge thaïlandais est en effet en désaccord sur deux points : en premier lieu, il considère les FARC, comme un simple groupe politique, alors que les Américains les considèrent comme une organisation terroriste.
Ensuite, selon le traité d’extradition entre la Thaïlande et les États-Unis, Viktor Bout doit être inculpé par les deux pays pour des motifs similaires, ce qui n’est pas le cas.
Dès la décision du tribunal thaïlandais connue en août 2009, Washington et Eric G John ont tenté de faire pression sur le gouvernement d’Abhisit Vejjajiva.
Les États-Unis encouragent le gouvernement thaïlandais à exprimer publiquement sa déception face à la décision du juge , son intention de gagner en appel, et à réaffirmer la position de la Thaïlande face à la lutte contre le terrorisme international et à sa collaboration avec les États-Unis quant à l’application des lois
écrit l’ambassadeur américain.
Sous marin russes et soupçon de corruption
Deux câbles en provenance de l’ambassadeur américain en Thaïlande Eric G John ont été à ce jour publié sur Wikileaks. Sur les deux télégrammes, l’ambassadeur s’inquiète de la tournure de l’affaire Viktor Bout, et tente clairement d’obtenir du gouvernement thaïlandais pour obtenir une décision plus favorable à l’extradition.
Il confie d’abord avoir des soupçons sur de possibles pot-de-vins provenant de la Russie afin de créer de faux témoignages et retarder l’extradition. Les Russes auraient payé le témoignage d’un officier de la Marine thaïlandaise afin qu’il certifie que Viktor Bout était envoyé par le gouvernement russe pour vendre des sous-marins.
Eric G John exprime également sa déception face à « l’analyse erronée de la notion de double incrimination », notant que «
La décision du juge pourrait saper la position du gouvernement thaïlandais dans son effort d’obtenir l’extradition de Taksin Shinawatra.
Il écrit avoir appelé le ministre des Affaires étrangères Kasit Piromya afin de lui exprimer son mécontentement vis à vis du refus d’extradition, affirmant que le verdict du tribunal n’était pas légalement justifié. Enfin, l’ambassadeur suggère qu’une discussion entre le premier ministre Abhisit Vejjajiva et le président Barack Obama pourrait sûrement aider à accélérer le processus d’extradition.
L’ambassadeur contre-attaque
Face à la diffusion de ces câbles sur Wikileaks, Eric G John s’est empressé de justifier la nature de ces télégrammes en envoyant un communiqué au journal The Nation.
Il écrit:
Les diplomates doivent avoir des discussions franches avec leurs collègues et ils doivent s’assurer que ces discussions restent confidentielles. Un dialogue honnête, entre et au sein des gouvernements, est une des règles basiques des relations internationales; et nous ne pouvons maintenir la paix, la sécurité et l’ordre sans cela […] Nous allons continuer à nous efforcer de consolider les relations entre la Thaïlande et les États-Unis, et de travailler sur les questions importantes pour nos deux pays
Les liens historiques sont anciens entre la première puissance mondiale, et son principal allié dans la région du Sud Est asiatique. La Thaïlande est devenue un allié officiel des États-Unis avec la signature de l’Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est (OTASE) en 1954 dont le siège se trouvait a Bangkok. L’organisation était alors un des instruments de la politique américaine contre l’expansion du communisme en Asie du Sud suite à la guerre d’Indochine.
La France et la Thaïlande unies dans la censure
En attendant, comme en Chine et en Russie, le site Wikileaks reste inaccessible depuis la Thaïlande, et pourrait bien l’être aussi dans le reste du monde à cause de la France
Fin novembre, suite à la publication de plus de 250 000 câbles diplomatiques, Julian Assange a dû retirer son site de ses serveurs en Suède et le faire héberger aux Etats-Unis par la compagnie Amazon.com. Celle-ci, à son tour, a subi les pressions politiques de la commission du Sénat américain sur la sécurité territoriale, pour cesser d’accueillir le site du hacker australien.
Après avoir été exclu d’Amazon, le site a trouvé refuge en France chez OVH pour une partie de son contenu. Le ministre chargé de l’Economie numérique, Eric Besson, a déclaré, vendredi 3 décembre, que le gouvernement français étudiait les moyens d’interdire l’hébergement du site.
Melaine Brou et Olivier Languepin