Deux ans après le coup d’État de la junte militaire, le retour à la démocratie reste une perspective assez lointaine pour la Thaïlande.
Réduction des libertés, musellement de la presse et pratique illégales rythment désormais la vie des Thaïlandais, qui n’en sont d’ailleurs pas à leur premier coup d’Etat.
La Thaïlande a déjà changé 19 fois de loi fondamentale depuis l’instauration de la monarchie constitutionnelle en 1932.
Il y a deux ans, le 22 mai 2014, le chef de l’armée thaïlandaise, le général Prayuth Chan-ocha après de longues et violentes manifestations s’est emparé du pouvoir, déposant le gouvernement de Yingluck Shinawatra, deux jours après avoir déclaré la loi martiale.
C’est le 18e coup d’Etat qui secoue le royaume, le précédent datant seulement de 2006. Et peu à peu, les promesses de retour à la démocratie ont laissé place à une « dictature » cachée.
Déjà deux ans, que le peuple attend l’instauration d’une nouvelle constitution, alors qu’un projet sera finalement soumis au vote le 7 août prochain.
Un projet de 105 pages et 279 articles
La nouvelle Constitution prévoit notamment de mettre en place un sénat composé de 250 membres nommés entièrement par les militaires : un point qui est pour le moment jugé « anti-démocratique » par plusieurs membres de l’opposition
Le nouveau texte sera soumis à un référendum le 7 août prochain, mais tout débat public à propos de ce texte est proscrit, et un décret prévoit une peine de prison pouvant aller jusqu’à 10 ans pour toute personne qui déforme la réalité de la « nouvelle constitution ».
Le général et Premier ministre autoproclamé Prayuth Chan-ocha avait résumé le débat à sa façon en une phrase :
« Nous ne pouvons pas laisser les gens profiter de la liberté, sinon il y a des manifestations et le gouvernement ne peut pas travailler. »
Répression des libertés individuelles
Le 1 er avril 2015, le royaume avait pourtant connu une première étape vers un retour à la normale.
Le gouvernement militaire avait alors accepté la levée de la loi martiale. Une loi qui permettait aux militaires d’arrêter, de détenir, de museler les médias, d’interdire les rassemblements politiques et de poursuivre devant des tribunaux spéciaux.
Mais la loi martiale a été aussitôt remplacée par l’application de l’article 44 de la Constitution provisoire, qui permet à l’armée d’arrêter et de détenir toute personne qui est une menace pour l’ordre public pendant sept jours, sans jugement.
Plusieurs dirigeants politiques, militants ou journalistes ont ainsi été «invités» à participer à des séances «d’ajustement d’attitude » dans les casernes de l’armée grâce à l’application de l’article 44.
L’opposition et toute personne critiquant le pouvoir continuent d’être la cible d’arrestations, de détentions arbitraires et de torture d’après le rapport 2015/2016 d’Amnesty international.
En 2015, les quatre hommes Chanwit Chariyanakul, Noraphat Luepon, Sansern Sriounren et Wichai Yusuk alors détenus au centre de la détention provisoire de Bangkok ont déclaré à leurs avocats membres de l’ONG avocat thaïlandais pour les droits de l’homme : « avoir été victime de décharges électriques , de coups de poing et de pied dans la tête, le torse et le dos et menacés de violences physiques »
Un projet de loi contre la torture et les disparitions forcées en infractions pénales a été présenté au Parlement. Mais celui-ci était toujours en instance à la fin de l’année 2015.
Détention arbitraire et “ajustement d’attitude”
Les universités sont très surveillées par les autorités thaïes, et depuis deux ans, 77 universitaires auraient été assignés à résidence et cinq poussés à l’exil.
Pour certains, ils ont été contrains de revenir sur leurs critiques sous peine d’être envoyés dans des camps de l’armée pour y subir des séances “d’ajustement d’attitude” .
Des camps ou les esprits des intellectuels sont mis à rude épreuve, et dans lesquels ils sont embrigadés dans un endoctrinent à la gloire du mouvement en place.
Le 7 mai dernier, la mère de Sirawith Seritiwat, l’un des leaders étudiants qui s’opposent aux militaires depuis près de deux ans a été condamnée.
A 40 ans , elle est poursuivie pour avoir violé l’article 112 du Code pénal qui punit de 15 ans de prison toute personne dénigrant la famille royale.
D’après ses avocats, l’unique raison est que cette dernière a écrit « ja », l’équivalent thaïlandais de « ouais » par message privé sur Facebook. Les messages ont été jugés insultants pour la famille royale.
« Poursuivre quelqu’un pour une vague réponse à un message Facebook est le dernier scandaleux rebondissement de la junte en matière de lèse-majesté », selon Brad Adams, responsable Asie de l’organisation Human Rights Watch.
Mais les universitaires et leur famille ne sont pas les seules victimes des suppressions des libertés en Thaïlande.
Les médias sous haute surveillance
Le ministère des affaires étrangères vient de mettre en plus des nombreuses interdictions imposées aux journalistes, de nouvelles règles pour l’obtention de leurs visas.
Les correspondants de presse doivent maintenant collaborer à temps plein et pour un unique média et n’avoir aucun comportement ou travail pouvant constituer une perturbation à l’ordre public ou à la sécurité du Royaume. Seulement 10 journalistes sur 20 convoqués devant les militaires ont vu leur visa accordé.
L’édition thaïlandaise du New York Times est très souvent censurée. Lorsque les articles sont jugés « trop sensibles », ils sont remplacés par des encadrés blancs.
Stephff, dessinateur de presse et caricaturiste depuis 16 ans pour The Nation a été menacé d’expulsion en février dernier, après que son renouvellement de visa ait été refusé. Son visa a par la suite été renouvelé par les autorités qui ont expliqué avoir eu un problème administratif.
La répression s’est également abattue sur des milliers de sites web politiques, de publications et de stations de radios opposés au gouvernement.
Dans le classement 2016 de reporters sans frontières, la Thaïlande se trouve à la 136ème place sur 180 pays recensés. Le royaume est désormais derrière ses voisins le Cambodge et la Malaisie jugés extrêmement restrictifs.
Censure des réseaux sociaux
Les médias sociaux, très populaires en Thaïlande sont depuis que la junte est au pouvoir sous haute surveillance. Les publications, messages et photos sont analysés avec précision.
Les Thaïlandais ont réussi tout de même après la levée de la loi martiale à s’exprimer. Des codes ont été installés comme lire le roman 1984 de George Orwell à bord des trains, imiter le salut à trois doigts de la trilogie Hunger Games ou bien interpréter l’hymne national français.
Mais le constat reste le même depuis deux ans. Plusieurs dizaines de personnes, d’anciens parlementaires, de journalistes, d’universitaires et de militants ont été emprisonnés par l’armée ou sont toujours en détention dans des lieux non officiels.
Les réactions de la communauté internationale
Les réactions internationales sont pour l’instant restées plutôt timides.
En avril 2015, dix huit ambassadeurs de l’Union européenne ainsi que Lisa Ragher, la chargée d’affaires de la délégation européenne en Thaïlande ont demandé une rencontre avec le ministre des affaires étrangères du royaume. Au final, ils n’ont rencontré que son adjoint Panyarak Poolthup.
Les ambassadeurs se sont émus de l’existence de séances « d’ajustement d’attitude ». Ils ont donc pendant l’entrevue tenter de rappeler la nécessité de la tenue d’élections libres et indépendantes.
Cependant, il n’est pour le moment pas questions de sanctions sérieuses et concrètes de la part de l’Union européenne, ni du reste de la communauté internationale.