Certains parleront sans doute de népotisme, alors qu’en fait il ne s’agit que de constater une fois de plus l’importance des réseaux et de la famille dans la vie politique thaïlandaise. Toujours est-il que la nomination désormais très probable de Somchai Wongsawat au poste de premier ministre risque de renforcer les positions de ceux qui critiquent la mainmise de Thaksin sur la politique thaïlandaise. Rarement un homme politique absent et banni de son pays aura été aussi bavard: désormais en exil, poursuivi par la justice de son pays, son parti dissout et ses biens mis sous séquestre, Thaksin continue à faire la une par personne interposée. Perçu comme sa marionnette, Samak n’a finalement pas eu d’autre choix que de démissionner après six mois d’un gouvernement marqué par de nombreuses bourdes. Victime de sa faconde, Samak a cultivé son image « brut de coffrage » et près du peuple avec des propos hauts en couleur, mais avec un bilan au final des plus mitigé.
Son successeur, désigné par le Parti du pouvoir du peuple (PPP) pour succéder à Samak Sundaravej à la tête du gouvernement thaïlandais n’a pas du tout le même profil: agé de 61 ans, Somchai Wongsawat est juriste de formation et magistrat de la cour d’appel. Il a été secrétaire général de la Justice de 1999 à 2006 puis a occupé les mêmes fonctions au ministère du Travail. Il était ministre de l’éducation et vice-Premier ministre dans le gouvernement de Samak Sundaravej. Mais sa nomination est surtout une victoire de plus pour le clan Thaksin car il est le beau-frère de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, chassé du pouvoir par l’armée il y a deux ans. Sa femme, Yaowapa Wongsawasdi, était une élue influente du TRT au Parlement où elle avait un rôle influent, avant que le TRT ne soit dissous après le coup d’Etat de 2006.
Cette nomination, si elle est confirmée mercredi par le Parlement, a peu de chance d’apaiser les profondes divisions de la Thaïlande, coupée en deux depuis l’émergence en 2000, du très controversé Thaksin Shinawatra. Exilé au Royaume-Uni, le richissime homme d’affaires, est toujours resté très populaire dans les campagnes auprès des plus défavorisés, et détesté par les classes moyennes urbaines traditionnelles, qui ont généreusement financé l’agitation de rue du PAD. Il est peu probable que la crise politique thaïlandaise se termine à la suite de la désignation d’un nouveau Premier ministre issu des rangs du PPP. « Nous n’accepterons personne du Parti du pouvoir du peuple », a réaffirmé lundi à l’AFP Pibhop Dhongchai, un des leaders des manifestants qui occupent depuis le 26 aout les bureaux du premier ministre dans le centre de Bangkok. Dimanche dernier, M. Somchai, en qualité de Premier ministre par intérim, avait fait un pas dans le sens de la conciliation en levant l’état d’urgence proclamé le 2 septembre à Bangkok par M. Samak
Car au delà des manœuvres politiciennes et des combats de rue qui offrent un triste spectacle de la Thaïlande, ce qui se déroule en ce moment est bien une lutte entre deux conceptions opposées du pouvoir. La méthode Thaksin s’appuie sur modèle démocratique, avec un penchant pour l’affairisme et le libéralisme économique. Cette conception repose sur des élections démocratiques certes, mais aussi sur une forme d’appel direct au peuple qui tend à court circuiter les intermédiaires habituels du pouvoir. Pendant ses cinq années de pouvoir incontesté (2001 à 2006) Thaksin a introduit une nouveauté dans la vie politique sous forme d’un pouvoir « populaire » qui s’appuie directement sur un parti de masse (l’ex TRT, ressuscité en tant que PPP). Cette conception ne pouvait que heurter les tenants d’un autre système plus élitiste, où l’armée et les milieux traditionnels proches du palais royal conservent une large influence, en dehors des mécanismes formels du système démocratique.