En théorie rien n’empêche le monarque qui règne sur la Thaïlande depuis plus de 60 ans, de gracier qui bon lui semble, y compris un ex-premier ministre condamné pour corruption à deux années de prison. En pratique, c’est infiniment peu probable.

En premier lieu, la demande pardon de Thaksin pourrait rencontrer certains obstacles juridiques. Le gouvernement a déjà fait savoir qu’à son avis la pétition déposée par les manifestants et demandant le pardon de Thaksin au souverain n’était pas recevable, car seul l’intéressé est juridiquement qualifié pour présenter une telle requête.

Les fonctionnaires et les juristes ont également observé que le monarque ne peut légalement accorder une amnistie à Thaksin, car il n’a ni reconnu sa culpabilité, ni effectué une partie de sa peine de deux ans d’emprisonnement.


De toute façon, le but des manifestants anti gouvernementaux de l’UDD (Front uni de la démocratie contre la dictature), plus connu sous le nom de « chemises rouges » était sans doute davantage de réaliser une énième démonstration de force dans le centre de Bangkok. Il est en vérité difficilement concevable qu’une quelconque demande de pardon venant de l’UDD soit favorablement considérée par l’entourage du roi, dans la mesure ou les « chemises rouges » ne cessent de s’en prendre précisément à son plus proche conseiller Prem Tinsulanonda.

Depuis le début du conflit qui oppose l’UDD au gouvernement Abhisit,  Prem – qui dirige le conseil privé du roi – est régulièrement accusé par les leaders de l’UDD d’avoir fomenté le coup d’Etat qui a renversé et conduit à l’exil Thaksin en septembre 2006. Beaucoup de commentateurs voient dans cet acharnement une façon de s’en prendre indirectement à la monarchie, dans la mesure ou toute critique dirigée explicitement contre le roi, ou un membre de sa famille, est inconcevable en Thaïlande.

Mais ce sont sans doute les obstacles politiques qui empêcheront une éventuelle grâce de l’ex premier ministre. Une grâce royale pour Thaksin ouvrirait la voie à son retour en Thaïlande, avant de nouvelles élections générales, qui pourraient se tenir l’année prochaine. Une perspective déplaisante pour les différents groupes d’intérêt politique qui ont manœuvré pour obtenir le départ de Thaksin en 2006, mais sont désormais divisés entre eux et en concurrence pour le pouvoir.

Selon le politologue Pitch Pongsawat de l »université de Chulalongkorn (Bangkok) :

Il y a peu d’hommes politiques en Thaïlande qui ont atteint le niveau de célébrité de Thaksin. Thaksin est peut être, de fait, en dehors du jeu politique et de la Thaïlande, mais il est tous les jours dans les médias. Nous sommes entrés dans une sorte d’ère « post Thaksin », avec un gouvernement conservateur qui se définit comme anti Thaksin. C’est une sorte de coalition assez souple (loose coalition) qui n’a pas d’autre véritable cohésion que la volonté d’empêcher le retour de Thaksin au pouvoir

Au cours du rassemblement, Thaksin s’est une nouvelle fois adressé à ses supporters par vidéo conférence, en les remerciant les larmes aux yeux, pour leur soutien. Mais aujourd’hui le mouvement des chemises rouges à sans doute dépassé par son ampleur le seul rôle de soutien à son mentor.

Selon un autre intervenant s’exprimant au cours d’une réunion qui s’est tenue au FCCT (Foreign Correspondents’ Club of Thailand).

Les chemises rouges ne sont pas l’instrument de Thaksin. Ca va bien au delà. Il y a un sentiment de frustration, surtout en dehors de Bangkok, qui est très répandu dans une grande partie de la population. Thaksin ne contrôle plus ce sentiment, même si c’est lui qui a initié le mouvement. Les masses sont entrées dans la politique thaïlandaise avec Thaksin, et ce n’est plus possible de les exclure.

Plusieurs autres intervenants ont aussi souligné la difficulté de situer l’actualité politique sans se référer à l’ex premier ministre.

Chris Baker l’un des auteurs d’un essai politique sur Thaksin dont la seconde édition vient de sortir estime pour sa part que :

Quelque soit le résultat de l’actuel mouvement de contestation (la signature d’une pétition demandant le pardon de Thaksin), Thaksin restera un acteur majeur du jeu politique en Thaïlande. Il s’est déjà adressé aux dieux pour le sauver, puis maintenant au roi. Qui sera le prochain ?

Olivier Languepin

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