A la faveur de l’inextricable crise politique thaïlandaise, une nouvelle donnée est récemment venue animer le débat entre les divers protagonistes : les « menaces séparatistes » de la région du nord, sous la forme d’un supposé appel à créer une « République de Lanna » à Chiang Mai.

De l’aveu de nombreux observateurs, cette déclaration tiendrait plus de la provocation politique que d’une réelle campagne partisane.

Mais l’annonce a réussi à créer une véritable polémique, poussant les chefs militaires à multiplier les interventions publiques pour condamner cet appel et « toute atteinte à l’intégrité territoriale du royaume ». Même la cheffe du gouvernement elle-même, Yingluck Shinawatra (née à Chiang Mai),  s’est sentie obligée de réagir, indiquant que

« Le gouvernement ne soutient pas les mouvements séparatistes, le pays doit rester un et indivisible ».

Ainsi, malgré le caractère fantaisiste de ces provocations, elles n’en ont pas moins provoqué une vague de réactions nationalistes et d’appels à l’unité.

Cette volonté de rappeler le caractère indivisible du royaume est révélateur d’un élément important de l’identité thaïlandaise : le pays des Thaïs est en réalité un territoire qui abrite une multitude d’ethnies.

Le Royaume de Lanna, une réalité historique

L’appellation « République de Lanna » évoquée par Mr Phetchawat’s se base, mais de manière grossière, sur une réalité historique du pays. Il y a encore deux siècles existait, à la place dans l’actuel nord de la Thaïlande, le royaume de Lanna – ou « Royaume du millions de rizières » – qui avait pour capitale Chiang Mai.

Le Lanna ne s’est rapproché du royaume de Siam (qui comprenait en gros la Thaïlande d’aujourd’hui sans le nord) qu’à partir de 1774. Et il n’est finalement avalé administrativement par son voisin qu’en 1892, donnant ainsi à la Thaïlande son visage actuel.

Ainsi le nord de la Thaïlande est imprégné d’une culture et d’une histoire spécifiques, détachée de celles de Bangkok et de la plaine centrale. L’ancien royaume de Lanna fut influencé essentiellement par la Birmanie qui l’a occupé durant le XVIème et le XVIIème alors que le royaume de Siam a fortement subi l’influence khmère. Le concept d’un nord autonome n’est donc pas aussi aberrant qu’il y parait au premier abord, si l’on se penche sur l’histoire.

L’unité de la Thaïlande : un concept un peu éloigné de la réalité

Les déclarations récentes ont fait unanimement ressortir un discours d’unité de la nation thaïlandaise. Pour autant, l’idéologie d’une unité nationale nécessaire à la stabilité du pays est un concept assez récent, remontant au règne du roi Chulalongkorn (1868-1910) et surtout du roi Vajiravudh (1910-1925).

Ce discours unitariste s’est renforcée vers 1939, date à laquelle le pays a changé de nom pour passer de Siam à Thaïlande. Ce changement de nom était le signe d’une réelle volonté politique. Le nom de « Siam » était à l’origine dérivé de Xian, la vieille appellation de cette région utilisée dans les annales de l’Empire du milieu.

La Thaïlande regroupe sur son territoire plus d'une trentaine d'ethnies différentes.
La Thaïlande regroupe sur son territoire plus d’une trentaine d’ethnies différentes.

C’était donc un nom relativement neutre, alors que la dénomination « Thaïlande »porte une connotation ethnique forte, car elle signifie « pays des Thaïs ». La Thaïlande serait donc, selon cette appellation, le pays unissant  tous les peuples de culture et de langue thaïs.

Cela explique la campagne militaire, sous le régime du Maréchal Phibulsongkhram à la fin des années 1930 pour annexer les territoires Shan du nord de la Birmanie (les Shans faisant partie de la famille ethnique Tai). Mais cette volonté compréhensible de vouloir créer une « identité nationale » se heurte à la réalité ethnique du pays.

Alors que 85% de la population parle la langue thaïe du centre ou Thaï de Bangkok – une langue imposée à partir du début du XXème siècle par le système scolaire et propagée par la liturgie bouddhique dans les pagodes – et partage une culture grosso-modo commune, il important de rappeler que le pays abrite plus de 30 groupes ethniques différents.

A ce titre, environ 14% de la population est chinoise (Teochiu, Hokkien, Akkha, Cantonnais), 4% est malaise et environ 3% assimilé à des ethnies d’origine khmère. On peut aussi ajouter tous les groupes ethniques tibéto-birmans ou Miao-Yao qui comptent près d’un million d’individus. Quant aux Isaan, les Laos et les Khmers-Surin du nord-est, ils constituent un bon tiers de la population.

Et bien que la population du pays soit à 95% bouddhiste, il ne faut pas oublier que le royaume abrite une communauté musulmane importante répartie sur l’ensemble du territoire avec une très forte concentration dans les quatre provinces de l’extrême-sud : Songkhla, Pattani, Yala et Narathiwat.  Sans oublier le christianisme et l’animisme pratiquées par certaines ethnies des montagnes.

La « polémique » d’une sécession du nord de la Thaïlande nous rappelle ainsi que l’appellation « Thaïlande » est née d’une volonté politique de création d’une identité nationale. En effet, de même que les Chinois ne sont pas tous Han (l’ethnie majoritaire du pays), les Thaïlandais (majoritairement issus de la famille ethnique Taï) sont membres d’un ensemble complexe fédéré autour de valeurs et d’une langue commune.

Flavien Cuzin

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