Mauvais timing pour la visite de Mme Rama Yade en Thaïlande ? Le gouvernement thaïlandais est justement confronté en ce moment à une série de problèmes sur le front des droits de l’homme. Or au pays du sourire, il est mal vu de critiquer… la Thaïlande, même si les réponses des responsables sont souvent vagues, et assez peu convaincantes.
L’actualité récente a plusieurs fois pointé sur la Thaïlande, mettant à la une des affaires où le royaume se retrouve en position d’accusé. Il a d’abord eu la semaine dernière les nouvelles révélations sur les prisons secrètes de la CIA. L’affaire remonte certes à l’époque du gouvernement Thaksin, mais elle est tout de même embarrassante pour le royaume, accusé d’avoir hébergé clandestinement une prison secrète de la CIA, où des prisonniers auraient très vraisemblablement été torturés.
Aujourd’hui, la justice américaine affirme avoir la preuve de l’existence de ces prisons. Les preuves seraient contenues dans des documents remis récemment à un tribunal de New-York, selon lesquels des suspects d’Al-Qaida étaient passés par une prison située en Thaïlande.
Malheureusement, il n’y a pas que les États Unis qui sont accusés de torture en Thaïlande. Dans le sud musulman, où les attentats à la bombe sont quotidiens, le gouvernement a décidé une nouvelle fois de prolonger l’état d’urgence imposé depuis quatre ans dans les provinces à majorité musulmane du sud du pays. Le décret, promulgué pour la première fois en octobre 2005, avant d’être renouvelé à 14 reprises, a été prolongé jusqu’au 18 avril 2009. L’état d’urgence autorise les autorités locales (en l’occurrence l’armée) à arrêter les suspects et à les placer en détention sans inculpation, et accorde l’immunité au personnel de sécurité engagé dans ces opérations.
Est t-il vraiment judicieux de rester dans ce cadre juridique d’exception, alors que la publication d’un rapport d’Amnesty International sur l’insurrection dans le sud musulman est accablant pour le gouvernement thaïlandais en ce qui concerne l’utilisation de la torture ?
Les forces de sécurité thaïlandaises en campagne anti-insurrectionnelle dans les provinces du sud où règne la violence ont systématiquement recours à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements.
juge l’ONG de défense des droits de l’homme basée à Londres.
Le mois dernier c’est un article du South China Morning Post qui lançait l’affaire de réfugiés musulmans birmans rohingya, accusant la Thailande de brutalité et de cruauté envers les Birmans qui fuient leur pays, à bord d’embarcations de fortune. Une fois remis à l’armée thaïlandaise par la police ou la marine, ces boat people sont rassemblés dans le plus grand secret sur une île de la mer d’Andaman, avant d’être conduits dans les eaux internationales et abandonnés sur de vieux rafiots équipés de simples pagaïes. Il y a d’autres façons de faire pour respecter les conventions des Nations Unies sur le traitement des réfugiés.
Peu de temps après, la Thailande fait encore la une en matière de droit de l’homme : un journaliste australien est libéré après avoir passé 6 mois en prison pour lèse-majesté. Une chance en vérité : il a été gracié par le roi après avoir été condamné à trois ans de prison… la peine plancher pour ce type de délit. En fait ce journaliste avait écrit quelques lignes sur le prince héritier, dans un livre édité à compte d’auteur à une cinquantaine d’exemplaires. La détention provisoire était-elle vraiment nécessaire pour un journaliste qui auto publie ses romans, et affirme en avoir vendu au plus une douzaine ? En Thaïlande la législation sur le crime de lèse-majesté prévoit des peines très lourdes, définies par l’article 112 du code pénal en vertu duquel
“Quiconque tient des propos diffamatoires, insultants ou qui menacent le roi, la reine ou le régent est passible de trois à quinze ans de prison“.
Le premier ministre Abhisit Vejjajiva s’est ensuite engagé à ce que cette loi soit appliquée plus équitablement, mais de réforme de la loi elle même il n’est pas question pour l’instant. Là encore mauvais timing : le lendemain descente de police dans les locaux du journal Prachatai : Chiranuch Premchaiporn, directrice du site web, est arrêtée par la police pour avoir “propagé des contenus constituant un crime de lèse-majesté sur le site”, (elle a été depuis libérée sous caution). En d’autres termes, elle a été arrêtée pour avoir autorisé des commentaires que la police considère comme insultants pour la monarchie.
En Thaïlande, une loi “draconienne” sur la criminalité informatique considère que tout fournisseur de services qui laisse délibérément un tiers publier un contenu qui enfreint la loi est responsable au même titre que la personne qui commet l’infraction. Les autorités thaïlandaises ont utilisé cette loi pour bloquer 2.300 sites web accusés d’avoir insulté la monarchie : c’est beaucoup, d’autant plus qu’ il est de fait impossible de juger si le contenu de ces sites correspond véritablement au délit de lèse-majesté, ou s’il s’agit plus de censure politique déguisée. Reporters sans frontières a récemment publié un article en se demandant si la Thailande serait le “nouvel ennemi d’Internet” : on fait mieux comme carte de visite.