Jatupat Boonpattararaksa, un jeune étudiant militant anti-junte, est devenu malgré lui le symbole des abus commis au nom du lèse-majesté en Thaïlande.
Pour avoir partagé et cité des extraits d’un article en thaï de la BBC sur son compte Facebook, Jatupat Boonpattararaksa (surnommé “Pai”) a été arrêté le 2 décembre 2016.
Le 1er février, Jatupat Boonpattararaksa a écopé de dix jours supplémentaires en détention provisoire. Alors qu’il a déjà passé 48 jours en cellule, sa peine est prolongée pour la sixième fois.
Reporters sans frontières (RSF) condamne fermement l’inculpation d’un étudiant et militant pro-démocratie qui avait partagé, en décembre dernier, un article de la BBC sur Facebook.
RSF demande aux autorités de cesser d’instrumentaliser la loi sur le crime de lèse-majesté pour emprisonner les voix critiques et dissuader les médias d’écrire sur la monarchie.
L’article de la BBC, intitulé “Biographie du roi de Thaïlande” dresse le portrait du nouveau souverain et détaille notamment les frasques de sa vie personnelle, avant son accession au trône le 1er décembre 2016, ainsi que d’anciennes affaires de lèse-majesté.
Si la BBC n’a pas été mise en cause par les autorités, l’étudiant a lui été accusé d’avoir diffamé le nouveau roi, Maha Vajiralongkorn, en violation de l’article 112 du code pénal et du “Computer Crimes Act” (loi sur la cybercriminalité).
Le 27 décembre dernier, une Cour a refusé de le libérer sous caution et a prolongé sa détention jusqu’au 10 février, date de son inculpation formelle.
Un militant pro-démocratie
Jatupat Boonpattararaksa était connu des autorités en tant que militant pro-démocratie et avait déjà été arrêté dans le passé pour avoir participé à des manifestations contre le pouvoir. L’accusation de lèse-majesté dont il fait l’objet a été largement commentée sur les réseaux sociaux et nombreux sont ceux qui y voient une instrumentalisation de la loi à des fins politiques.
“Il est scandaleux qu’un internaute puisse être accusé en vertu de la loi sur la lèse-majesté pour avoir simplement partagé un article dont il n’est pas l’auteur et pour lequel la BBC n’a même pas été poursuivie,”
déclare Benjamin Ismaïl, responsable du bureau Asie-Pacifique à Reporters sans frontières.
Cette incohérence manifeste ne laisse dupe personne. ll s’agit d’un message dissuasif aux destinataires multiples : il signifie aux militants pro-démocratie que le régime dispose d’un arsenal législatif lui permettant de les mettre hors d’état de nuire à tout moment.
Ensuite, il rappelle aux internautes qu’aucune information sensible à l’encontre du pouvoir ne sera tolérée en ligne. Journalistes et médias se voient eux avertis que leurs contenus sont toujours étroitement surveillés par les autorités, et que même lorsqu’ils décident de braver l’auto-censure régnante, leur courage peut avoir des conséquences dramatiques pour leurs lecteurs. Nous demandons l’abandon des charges qui pèsent contre Jatupat Boonpattararaksa et réitérons notre demande de voir abrogé l’article 112 du code pénal.”
Plusieurs lois prévoient des peines d’emprisonnement pour des publications en ligne qui seraient jugées illégales, à l’instar du Computer Crimes Act en vertu duquel les journalistes de Phuketwan avaient été poursuivis en 2013.
Mais le crime de “lèse-majesté” (offense à la monarchie, punie de 3 à 15 ans de prison par l’article 112 du code pénal) reste l’une pires craintes des professionnels des médias, leur faisant même hésiter à relater les affaires judiciaires concernant l’offense à la monarchie, voire à rechercher sur leur navigateur web les mots-clés s’y rapportant.
Les médias évoquant ces affaires ne donnent aucun détail des accusations, car cela peut être considéré comme une violation de la loi.
Le 12 novembre 2015, Reporters sans frontières a publié un rapport d’enquête dressant un état des lieux. Intitulé “Thaïlande : coup d’Etat permanent contre la presse”, ce rapport appelle notamment les autorités thaïlandaises à cesser de recourir à des lois répressives, dans le but de museler les médias critiques et indépendants, à la censure du Net et à la surveillance des blogueurs et de tous ceux qui publient des informations “critiques” sur les réseau sociaux.
Depuis le coup d’Etat militaire de mai 2014, la liberté de la presse est sévèrement réprimée en Thaïlande, qui se situe à la 136e place sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2016 de RSF.