Après l’arrestation de deux journalistes par l’armée thaïlandaise, Reporters sans frontières condamne le durcissement des mesures restrictives et les tentatives d’instrumentalisation à l’encontre des médias suite à la proclamation de la loi martiale et au coup d’Etat, ainsi que les convocations et arrestations de professionnels des médias par l’armée.

Deux journalistes, Thanapol Eawsakul et Pravit Rojanaphruk sont détenus depuis les 23 et 24 mai 2014 après avoir été convoqués par les militaires.

L’armée poursuit son entreprise de musellement de l’information, dictant leur ligne éditoriale aux médias et les enjoignant de ne rien publier qui puisse “attiser le conflit”.

“Le pouvoir militaire, qui prétend vouloir rétablir la paix et l’ordre public, ne peut continuer à fouler au pied la liberté de l’information”,

déplore Lucie Morillon, directrice de la recherche de Reporters sans frontières.

« Les médias doivent pouvoir continuer leur travail d’information sans subir de pressions et d’intimidation de la part de quelque acteur que ce soit. Nous appelons le général Prayuth à libérer immédiatement Thanapol Eawsakul et Pravit Rojanaphruk”,

ajoute-t-elle.

Un centre de détention inconnu

Pravit Rojanaphruk, journaliste pour le quotidien The Nation connu pour ses prises de positions critiques à l’égard de la loi sur les crimes de lèse-majesté, a été convoqué par l’armée le 23 mai.

Il s’est rendu le lendemain au siège du National Council for Peace and Order (NCPO), accompagné de représentants des Nations unies ainsi que d’un avocat. Interrogé pendant cinq heures sans la présence de son avocat, il a, par la suite, été mené dans un centre de détention inconnu, où il demeure incarcéré à ce jour.

Avant de se rendre à sa convocation, Pravit Rojanaphruk avait déclaré à des médias thaïlandais espérer que “la population n’(allait) pas abandonner l’état d’esprit qui l’(animait) et que le Général Prayuth (serait) le dernier dictateur de Thaïlande”.

Il aurait également ajouté : “Ils peuvent m’enfermer, mais ils ne pourront jamais enfermer ma conscience”.

Face à la presse, il s’est ensuite bâillonné et bouché les oreilles.

Thanapol Eawsakul, rédacteur en chef de Fah Diew Gan et déjà poursuivi pour lèse-majesté, a été arrêté le 23 mai pour avoir participé à une manifestation pacifique à Bangkok contre le coup d’Etat.

Fermeture des pages Facebook qui « attisent le conflit »

Le 25 mai, 19 rédacteurs en chef et éditeurs ont été convoqués pour une réunion portant sur la couverture de l’actualité en “situation anormale”, tandis que le Général Prayuth, désigné par le roi à la tête du NCPO, a menacé le 26 mai les médias de fermeture s’ils utilisaient des pages Facebook pour “attiser le conflit”.

Il a également annoncé son intention de surveiller les sites internet et réseaux sociaux qui publieraient des contenus pouvant “inciter au conflit” ou porter atteinte à l’ordre public et à la paix.

Voici la liste des différents journaux ayant envoyé un représentant à la réunion : Bangkokbiznews, Khoasod, Khomchadluek, Daily News, Thai Rath, Thai Post, Naewna, Banmuang, Bangkok Post, Bangkok Today, Prachachat, Manager, Thansettakij, Post Today, Matichon, Dailyworldtoday et le Siam Rath.

Des nouvelles dispositions relatives au sort des chaînes de télévision interdites de diffusion suite à la promulgation de la loi martiale et au coup d’Etat ont été annoncées par le NCPO. Les chaînes télévisées gratuites ont toutes repris leur émission le 25 mai à l’exception de Thai PBS qui n’en a pas reçu l’autorisation.

14 chaînes de télévision en liberté surveillée

Quatorze chaînes ayant la réputation de diffuser des informations “biaisées” ne pourront émettre qu’à la condition de s’engager à ne pas perturber la paix et l’ordre public. Enfin, les radios communautaires ne disposant pas de licences devront demander une autorisation au NCPO pour recommencer à émettre.

Le général du NCPO a également annoncé dans la journée du 25 mai que les personnes accusées de lèse-majesté et celles ayant porté atteinte à la sécurité nationale ne seraient plus jugées devant la cour criminelle mais devant la cour martiale.

Ces mesures interviennent suite au coup d’Etat perpétré par l’armée le 22 mai, quelques jours après la promulgation de la loi martiale dans le pays. La Thaïlande traverse une grave crise politique depuis plus de six mois. Le pays est actuellement en prise à de nombreuses restrictions de la liberté de l’information et des tentatives d’instrumentalisation des médias.

La Thaïlande se positionne à la 130e place sur 180 pays dans le classement mondial de la liberté de la presse 2014 établi par Reporters sans frontières.

Benjamin Ismaïl
Head of Asia-Pacific Desk
Reporters Without Borders