Le problème de la liberté d’expression en Thaïlande ne date pas d’aujourd’hui. Il était donc prévisible que, face à la décision de Twitter de mettre en place un système de censure propre à chaque pays, le gouvernement saisisse l’opportunité. Et c’est exactement ce qu’il s’est empressé de faire, un jour à peine après l’annonce officielle du célèbre site.
Ainsi, le gouvernement thaïlandais a déjà annoncé qu’il travaillerait avec ce service, pour un « meilleur contrôle de l’utilisation du réseau social ». Le but étant, bien évidemment, de s’assurer que les « tweets » se plient aux lois locales et nationales. Avec ce système, un tweet pourrait ainsi être bloqué dans toute la Thaïlande sur demande du gouvernement, d’une entreprise ou simplement d’un individu.
Les réactions se sont montrées à la hauteur de l’attaque. De nombreux utilisateurs thaïlandais ont ainsi instantanément menacé de fermer leurs comptes Twitter. La secrétaire du Ministère de Information et des Technologies de Communication (ICT), Mme Jeerawan Boonperm a déclaré que le ICT avait déjà une « bonne coopération » avec d’autres réseaux sociaux tels que Google ou Facebook.
En 2011, la Thaïlande avait déjà bloqué 10.000 pages Facebook accusées d’enfreindre la loi sur le crime de lèse-majesté.
Face au scandale, Twitter se défend
Cette compagnie, âgée d’à peine six ans et basée sur l’idée même de la liberté d’expression, revendique aujourd’hui sa décision. En effet, alors qu’elle se développe mondialement, elle se trouve confronté à la difficile tâche de devoir juger elle-même fixer les critères de la censure sur internet.
Or, les limites de cette dernière sont complexes et peuvent différer selon les pays, en fonction de critères historiques ou culturels. Ainsi, cette décision permettra, d’après eux, au réseau social de persister, et de s’étendre, notamment en Chine, qui jusqu’ici mettait tout en œuvre pour bloquer Twitter.
La nouvelle politique de Twitter aurait des effets paradoxaux: elle favoriserait la censure dans certaines zones géographiques, mais permettrait de maintenir une liberté d’expression à travers le monde, ce qui n’était pas le cas jusqu’ici. En d’autres termes un Tweet contestataire ainsi censuré en Thaïlande serait visible partout ailleurs. Enfin, Twitter a souhaité mettre l’accent sur la transparence, en prévoyant un système qui expliquerait systématiquement aux utilisateurs pour quelles raisons un tweet est bloqué .
Un sentiment légitime de trahison
Il est vrai qu’il y a un an seulement, Twitter défendait le principe de ne pas bloquer des tweets sur la base de leur contenu. Aujourd’hui leur discours a beaucoup changé, et le sentiment de trahison est ainsi légitime. Mais face à ce nouveau pouvoir qu’est devenu le sien, la compagnie doit désormais gérer de nouvelles responsabilités dont elle ne pouvait pas avoir conscience il n’y a pas si longtemps.
Nombreux sont les utilisateurs qui ont déjà fermé leurs comptes en signe de protestation. Cependant, la censure existait déjà. Et si Twitter cherchait justement un moyen de la contourner, en continuant à exister, même en acceptant certaines règles du jeu devenues incontournables ?
Un tweet bloqué dans un pays reste visible pour le reste du monde, et dans ce sens-là, Twitter reste fidèle à ses valeurs, mais agit simplement dans la mesure de son pouvoir.
Quant au royaume de Thaïlande, il ne brille pas par ses positions sur la liberté d’expression: le royaume reste en 2012 parmi les pays sous surveillance de Reporters sans frontières, en 137e place, à peine mieux que les Phippines (140e) mais loin devant la Birmanie (169e) ou le Vietnam (172), lanternes rouge de la région Asie. Le débat sur la liberté d’expression et la censure est loin d’être clos: le scandale de Twitter et la réaction imminente du gouvernement n’en est qu’une illustration parmi d’autres.