Emprisonnée pour avoir témoigné de la violence dans son pays, la journaliste indépendante Htet Htet Khine a été condamnée jeudi 15 septembre par un tribunal de Rangoun, la plus grande ville du pays, à une peine de trois ans de prison et de travaux forcés.
Elle avait été inculpée pour “incitation à la haine et la violence contre l’armée”, sur la base d’une violation de l’article 505-A du Code pénal birman.
“Il est insupportable qu’une journaliste croupisse en prison alors qu’elle ne fait que son travail, qui consiste à informer librement ses concitoyens, déplore le bureau Asie-Pacifique de RSF. Nous appelons le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme en Birmanie, Tom Andrews, à agir pour mettre fin au cycle de condamnations pénales qui s’abattent actuellement sur les journalistes birmans à un rythme effréné.”
Reporters sans frontières (RSF) dénonce une nouvelle parodie de procédure judiciaire et demande sa libération immédiate.
Un nouveau procès à venir
Htet Htet Khine est détenue depuis le 15 août 2021 dans la sordide prison d’Insein, où elle a passé plus d’un an dans l’attente de son procès. Après le verdict, son avocat a tenu à souligner le courage de la journaliste, et a fustigé une condamnation prononcée “en l’absence de toute preuve”. Le directeur des programmes de la chaîne BBC Media Action, pour qui elle travaillait, a de son côté exprimé ses “profondes inquiétudes pour sa santé et sa sécurité”.
La journaliste a été arrêtée et est détenue aux côtés de son confrère Sithu Aung Myint, avec qui elle s’était cachée plusieurs semaines dans un appartement de Rangoun. Reporter pour le magazine indépendant Frontier Myanmar et chroniqueur pour la radio américaine Voice of America, il est pour sa part toujours en attente d’un jugement. Accusé “d’incitation aux troubles” et de “sédition”, Sithu Aung Myint encourt une peine cumulée de 23 ans de réclusion criminelle pour avoir publié des articles critiques de l’armée birmane. Son avocat témoignait au mois d’avril d’une dégradation de son état de santé, ainsi que d’une privation de soins de la part des autorités pénitentiaires.
Accusée dans une autre affaire, Htet Htet Khine encourt de son côté trois ans de réclusion criminelle supplémentaires au motif de l’article 17-1 de la “loi sur les associations illégales”. Son crime? Avoir travaillé pour Federal FM, une radio interdite par le régime militaire et avoir hébergé un journaliste recherché par les autorités.
Une journaliste motivée par son combat pour la paix
Htet Htet Khine est originaire du centre de la Birmanie et a embrassé la profession de journaliste en 2010. Elle a longtemps collaboré avec BBC Media Action, la chaîne à rayonnement international du groupe de presse britannique. Entre 2016 et 2020, elle y présentait le programme documentaire “Khan Sar Kyi” (“sensations”, en français), qui illustrait l’impact des conflits qui meurtrissent la société birmane.
En situation de guerre civile permanente depuis l’indépendance de 1948, la population, marquée par une grande diversité ethnique, subit de plein fouet les rivalités qui déchirent le pays. Le programme “Khan Sar Kyi” permettait de diffuser de puissants témoignages sur les difficultés à vivre aux frontières du pays, les principales zones de tensions ethniques.
Comme Htet Htet Khine aime à le répéter, “la liberté ne se donne pas, elle se gagne”. Convaincue que ses reportages contribuaient à dénoncer l’horreur des conflits, la journaliste s’employait à placer les chefs de guerre de tous bords devant leurs responsabilités. Régulièrement, elle accompagnait des généraux birmans dans des camps de réfugiés internes ou des leaders de groupes ethniques sur les terres dévastées de paysans birmans.
Depuis le retour au pouvoir des militaires birmans après le coup d’État du 1er février 2021, au moins 110 journalistes ont été arrêtés et 66 se trouvent encore derrière les barreaux. Depuis quelques mois, les condamnations pénales se multiplient. En août, le journaliste indépendant Maung Maung Myo a été condamné à six ans de réclusion pour “terrorisme”. Un mois plus tôt, la reporter Nyein Nyein Aye recevait une peine de trois ans de prison et de travaux forcés, sur la même base que sa consœur Htet Htet Khine.
Paysage médiatique
Le paysage médiatique a été bouleversé par le putsch de 2021. La junte a rapidement publié une liste noire de médias interdits en raison de leur liberté de ton, dont la Democratic Voice of Burma. Ce média historique du combat pour la liberté de la presse a dû renouer avec les techniques de reportage clandestin mises au point pendant les décennies précédentes de dictature militaire. Ces organes de presse jouent un rôle fondamental pour transmettre des informations fiables au reste du monde. A l’inverse, les médias contrôlés par le gouvernement sont un robinet à propagande que la population ne suit guère. Entre ces deux pôles, une poignée de médias survit sur une ligne de crête, entre la volonté d’informer leurs concitoyens et la nécessité de ne pas froisser les généraux.
Contexte politique
Le Conseil de l’administration d’État (CAE) ne tolère pas de récit alternatif à sa ligne. Il a, pour cela, rétabli le régime de la censure préalable et empêche les médias de couvrir les nombreuses violations des droits humains dont il se rend coupable. A la tête de la junte, le général Min Aung Hlaing promeut ouvertement une politique de terreur à l’encontre des journalistes qui ne suivent pas sa ligne.
Cadre légal
Au-delà de l’arbitraire, auquel ils ont largement recours, les généraux invoquent de façon quasi systématique la section 505.a du code pénal, un article de loi extrêmement flou qui punit de trois ans de prison la diffusion de “fausses informations”. Autre archaïsme juridique, l’article 66(d) de la loi sur les télécommunications criminalise la diffamation et peut envoyer un journaliste en prison pour la simple contestation d’une information par un tiers.
Contexte économique
Avant le coup d’Etat, le modèle économique de la presse privée était fragile. Le journalisme d’investigation, porté par des sites comme Myanmar Now ou Mizzima, comptait relativement peu de lecteurs. Le putsch a rebattu les cartes, avec une presse officielle qui occupent l’ensemble des kiosques et des ondes, et une presse indépendante réduite à la clandestinité – donc à des modes de financement encore plus aléatoires. Début 2022, la junte a mis en place un système de taxation des services Internet, à commencer par les cartes SIM, dont le seul but est d’empêcher la population de s’informer et d’échanger en ligne.
Contexte socioculturel
Le putsch de 2021 n’a été qu’une demi-surprise, tant le climat qui entourait la liberté de la presse s’était durci sous le gouvernement précédent, dirigé par Aung San Suu Kyi. Le coup le plus violent fut celui porté, en 2018 à deux journalistes de Reuters qui avaient enquêté sur un massacre de civils rohingyas, jugés puis finalement graciés au terme d’une parodie de justice. Un événement qui a servi d’avertissement à toute la profession, qui a compris qu’il fallait réfléchir à deux fois avant de publier une enquête susceptible de gêner la “Tatmadaw”, du nom de l’institution militaire. Ce cas s’est accompagné d’un déferlement de fausses informations et de discours de haine sur Facebook, dont la non-régulation des contenus a eu des conséquences désastreuses sur le débat public.
Sécurité
Torture, emprisonnement, assassinat… La profession de journaliste est extrêmement dangereuse en Birmanie, devenue la deuxième plus grande prison au monde pour les journalistes, derrière la Chine. Les rares témoignages qui filtrent des geôles birmanes révèlent des conditions de détention extrêmement sévères et un usage systémique de la torture. Trois journalistes ont été tués par la junte en décembre 2021 et janvier 2022 ; deux d’entre eux sont morts de sévices subis en détention.