Six mois après le putsch du 1er février dernier, qui a mis fin à dix ans de transition démocratique et à l’émergence d’une presse libre en Birmanie, Reporters sans frontières (RSF) retrace les différentes étapes qui ont permis à la junte de réprimer, menacer, intimider les journalistes, au point de parvenir, aujourd’hui, à un pourrissement de la situation.
Peu à peu, étape après étape, la situation se fige, se sclérose. Selon des chiffres vérifiés par RSF, 43 journalistes sont actuellement détenus dans les prisons birmanes. Au total, 98 ont été interpellés depuis le coup d’Etat du 1er février.
L’immense majorité est poursuivie au motif de l’article 505(a) du code pénal, qui punit de trois ans de prison la diffusion de “fausses nouvelles”.
Plusieurs dizaines d’autres journalistes ont dû se résigner à entrer dans la clandestinité pour mener à bien leur mission, à l’intérieur du pays ou depuis l’étranger. RSF retrace le récit des six mois de répression qui ont permis aux généraux birmans d’écraser la presse libre.
Février 2021 : le choc et la répression
À la suite du coup d’Etat, les journalistes birmans se font les porte-voix de la population qui, à travers des manifestations menées sur l’ensemble du territoire, témoigne de son hostilité au pouvoir militaire. Ils sont rapidement confrontés à la répression brutale imposée par le régime.
1er février : les véhicules militaires déferlent dans les rues de Naypyidaw, la capitale. A l’instar des autres membres du gouvernement issu des élections de fin 2020, le ministre de l’Information, Pe Myint, est arrêté. La junte, emmenée par le général Min Aung Hlaing, tente d’imposer son pouvoir et son récit.
4 février : repris en main, le ministère de l’information bloque Facebook, Twitter et Instagram.
9 février : un reporter qui couvrait des manifestations anti-junte à Mandalay, la seconde ville du pays, est interpellé. C’est le premier journaliste officiellement arrêté par l’administration militaire.
14 février : le “conseil de l’administration d’Etat” (CAE) – le nom officiel du gouvernement militaire – annonce plusieurs réformes réglementaires. Parmi celles-ci, il reformule l’article 505.a du code pénal, qui punit désormais de trois ans de prison la diffusion d’informations “fausses ou pouvant susciter la peur”. Le CAE amende également la loi sur les télécommunications : il est désormais interdit d’utiliser les expressions “coup d’Etat”, “junte” ou « régime birman ».
26-28 février : coup de filet de la police visant spécifiquement les journalistes : 17 d’entre eux sont interpellés, certains “cueillis” par la police à leur domicile.
Mars-avril 2021 : l’intimidation
De nombreux journalistes birmans sont confrontés à un dilemme indépassable. D’une part, ils considèrent qu’il est de leur devoir de couvrir les suites du coup d’Etat, et notamment le mouvement de protestation historique qu’il a entraîné.
D’autre part, ils savent que l’arbitraire des forces de sécurité est tel qu’ils peuvent être arrêtés sans autre raison que celle d’être journaliste, et de vouloir justement accomplir leur mission. Résultat, beaucoup d’entre eux entrent en clandestinité. Certains sont contraints à l’exil.
8 mars : la junte décide de suspendre les licences de cinq organes de presse réputés pour leur indépendance éditoriale : les agences 7 Day News, Democratic Voice of Burma, Khit Thit News, Mizzima et Myanmar Now n’ont désormais plus le droit de publier ou diffuser des articles, des émissions, des reportages ou des messages sur les réseaux sociaux. Tous les médias qui ne suivent pas la ligne officielle imposée par les généraux subiront, tout à tour, le même sort.
15 mars : la police oblige les journalistes interpellés à signer des déclarations dans lesquelles ils s’engagent à ne plus couvrir les manifestations de la population.
17 mars : la junte annonce avoir décrété la possibilité de prononcer la peine de mort sans appel pour 23 délits, dont la violation de la loi sur les médias et la diffusion de “fausses informations”.
4 avril : une “liste noire” de journalistes recherchés pour avoir diffusé des informations sur le mouvement démocratique est diffusée quotidiennement dans les médias d’Etat. Les militaires appellent la population à la délation publique contre les reporters visés.
Mai-juin-juillet 2012 : le pourrissement
Avec l’ensemble des médias indépendants supprimés et des dizaines de journalistes derrière les barreaux, la junte a réussi la première partie de son pari : installer la terreur. Comme l’a résumé auprès de RSF le rédacteur en chef du site Myanmar Now, Swe Win, “désormais, le simple fait de vouloir continuer d’exercer notre métier signifie risquer la prison ou la mort.” À partir du mois de juin, les militaires au pouvoir sont entrés dans une nouvelle phase : le pourrissement de la situation.
12 mai : le reporter de l’agence Democratic Voice of Burma (DVB), Min Nyo, est condamné à trois ans de prison pour “rébellion criminelle”, au motif de l’article 505.a du code pénal. C’est le premier journaliste à être condamné par un tribunal militaire depuis le coup d’Etat du 1er février.
24 mai : responsable éditorial du magazine Frontier Myanmar, le journaliste Danny Fenster, de nationalité états-unienne, est interpellé sans aucun motif à l’aéroport de Rangoun, alors qu’il allait quitter le pays. Son arrestation, totalement arbitraire, résonne comme un avertissement à tous les journalistes étrangers qui voudraient couvrir la situation sur place.
2 juin : le reporter de la DVB Aung Kyaw, et son confrère Zaw Zaw, pigiste pour Mizzima News, sont à leur tour condamnés par le tribunal militaire de Myeik, dans le sud de la Birmanie. Selon les termes de l’article 505.a du code pénal, ils écopent chacun de deux ans de prison.
30 juin : la télévision d’État annonce la libération de plusieurs centaines de prisonniers arrêtés durant les manifestations, dont six journalistes, dans le cadre d’une opération censée redorer le blason de la junte sur la scène internationale. Il faudra moins de deux semaines pour que le masque tombe : certains journalistes libérés sont arrêtés de nouveau, comme le reporter de l’Ayeyarwady Times, Aung Mya Than, interpellé le 10 juillet et jeté une nouvelle fois en prison.
20 juillet : la police de l’État Shan, dans l’est de la Birmanie, arrête trois femmes à Taunggyi, la capitale régionale. Journalistes, elles sont soupçonnées d’avoir tenté de poursuivre la diffusion d’un média clandestin local, Than Lwin Thway Chin. À travers tout le pays, comme cet organe de presse, de petits îlots de résistance sont écrasés par le rouleau compresseur des militaires. Le journalisme étouffe.
La Birmanie se situe actuellement à la 140e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.
Source: rsf.org