La Thaïlande avait déjà écopé d’une assez peu glorieuse 153e place (sur 178 pays recensés) dans le classement annuel de RSF sur la liberté de la presse, derrière de grand pays libres et démocratiques comme la Russie (140), la République démocratique du Congo (148) ou le Pakistan (151), et ce n’est visiblement pas près de s’arranger.
Reporters sans frontières a hier condamné les fermetures forcées d’une dizaine de radios communautaires liées aux “Chemises rouges” par les autorités thaïlandaises, le 26 avril 2011, à Bangkok et dans les provinces alentours suite à une opération policière de grande ampleur. La liste précise des radios investies par la police n’a pas encore pu être établie.
“À quelques mois des élections générales, cette vague de répression est très inquiétante. Si les médias de l’opposition n’ont plus le droit d’émettre, la couverture du scrutin sera inévitablement biaisée. Pire, ces fermetures en série pourraient signifier une volonté de censure définitive de l’opposition. Les autorités thaïlandaises doivent cesser cette politique de harcèlement qui ne vise pas seulement les Chemises rouges, mais aussi toutes les personnes qui, en déclarant publiquement leurs opinions sur le système politique et la monarchie en Thaïlande, ne font qu’exercer leur droit à la liberté d’expression, nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie”,
a déclaré l’organisation.
Trois personnes arrêtées
Trois personnes ont été arrêtées au cours de ces raids : Lek Suphan, animateur d’une émission sur la radio FM 105.75 Ruam Jai Thai (Les Thais unis), ainsi que le disk-jockey d’une station émettant sur 105,40 MHz dans la province de Pathum Thani et le responsable de Red Skills (96.35 MHz), une radio “rouge” de la même province. Ces deux derniers ont été libérés sous caution.
Des sites d’informations comme Prachatai ou Thai E-News, ont rapporté que des stations basées à Bangkok et ses environs avaient fait l’objet d’un raid des autorités, composées de fonctionnaires de police et de différents départements au sein du gouvernement. Mais selon certaines sources contactées par Reporters Sans Frontières, les opérations auraient été menées par l’Internal Security Operations Command (ISOC), le service de la sécurité interne du gouvernement.
D’après Prachatai, qui a interviewé Palot Chalermsan, employé de la radio Lam Lukka FM 105.40,
“entre vingt et trente officiels du département spécial d’investigation, du bureau national de la commission de l’audiovisuel et des télécommunications, de la division de suppression du crime et des agents de la police locale, sont entrés dans les locaux avec un mandat de la Cour, ont confisqué l’équipement et l’ont emmené au commissariat de Khu Khot”.
Palot a affirmé que sa radio, suspendue un temps pour travaux, avait recommencé à émettre une semaine avant le raid. La police a, elle, confirmé avait agi sur ordre et ajouté que les stations visées diffusaient illégalement des propos diffamatoires envers la monarchie.
L’accusation de lèse majesté a bon dos
L’accusation de “lèse-majesté” en vertu de l’article 112 du code pénal, est un procédé souvent utilisé par les autorités à des fins politiques, notamment pour étouffer la dissidence et les voix jugées trop critiques à l’encontre de la monarchie. C’est le cas de Somsak Jeamteerasakul, professeur d’histoire de l’art à la faculté des arts de Thammasat, menacé par un membre du gouvernement d’être poursuivis pour lèse-majesté, le 22 avril 2011, accusation ayant notamment pour origine son discours tenu au début du mois de décembre 2010.
Dans un communiqué de presse publié le 24 avril, Somsak Jeamteerasakul a déclaré avoir été suivi au cours des derniers jours par des individus non identifiés à moto, et avoir reçu un appel anonyme, lui indiquant qu’il faisait l’objet d’une surveillance étroite par le département de la sécurité qui se conclurait par son arrestation imminente.
La Thaïlande « sous surveillance »
La Thaïlande fait partie des « Pays sous surveillance » listés par Reporters sans frontières dans son rapport sur les Ennemis d’Internet publié le 11 mars 2010. Une dizaine de personnes, incluant blogueurs, professeurs et dissidents, sont à ce jour sous le coup de poursuites pour lèse-majesté.
La Thaïlande est à juste titre un modèle de liberté de la presse en Asie du Sud-Est. La presse est libre et variée, mais les journalistes ont tous un point en commun : ils s’auto-censurent pour ce qui touche à la monarchie.
Face à cette situation, Reporters sans frontières appelle à une réforme rapide des lois régissant le crime de lèse-majesté. Outre la censure sur Internet, ce délit aurait déjà permis l’incarcération d’une centaine de personnes.
Le crime de lèse-majesté sanctionne “Quiconque diffame, insulte ou menace le roi, la reine, le prince héritier ou le régent” commet un crime de lèse-majesté. Les contrevenants risquent “de trois à quinze ans de prison” (art 112 du code pénal de Thaïlande relatif aux offenses à la sécurité nationale).
Olivier Languepin et Benjamin Ismaïl (RSF Asia-Pacific Desk)