Lors de leur rencontre à Rome jeudi dernier, les dirigeants des quatre premières économies de la zone euro ont fait un premier pas vers une union bancaire et en faveur d’un modeste plan de relance en complément du nouveau Pacte budgétaire de l’UE. Mais ce n’est pas suffisant.
La chancelière allemande Angela Merkel s’est opposée à toutes les mesures destinées à alléger le poids des primes de risque excessives qui pèse sur l’Espagne et l’Italie. Aussi le prochain sommet de l’UE pourrait tourner au fiasco, un fiasco peut-être mortel, car il laisserait sans pare-feu financier efficace le reste de la zone euro en cas de sortie de la Grèce.
Même si l’on parvient à éviter ce désastre, la division entre pays créanciers et pays endettés sera renforcée
et les pays de la « périphérie » ne retrouveront pas leur compétitivité en raison d’un contexte défavorable pour eux.
Cela servirait l’intérêt étroit de l’Allemagne, mais conduirait à une Europe très différente du projet de société ouverte qui a soulevé l’imagination des peuples et nourri l’intégration européenne pendant des dizaines d’années. L’Allemagne deviendrait le centre d’un empire et relèguerait définitivement à la seconde place les pays de la « périphérie ». Or ni Angela Merkel ni la grande majorité de la population allemande ne souhaitent cela.
La chancelière allemande rappelle que la réglementation européenne interdit à la BCE (Banque centrale européenne) de résoudre les problèmes budgétaires des pays de la zone euro – et elle a raison. Le président de la BCE, Mario Draghi, a dit sensiblement la même chose. Mais un sujet important est absent du programme du sommet européen : la création d’une autorité budgétaire européenne (ABE) qui ferait en partenariat avec la BCE ce que cette dernière ne peut faire d’elle-même.
Cette Autorité pourrait notamment créer un Fonds de réduction de la dette, analogue à la Caisse européenne d’amortissement de la dette que propose le Conseil des experts économiques de Merkel, avec le soutien des sociaux-démocrates et des Verts allemands.
En échange de réformes structurelles accomplies par l’Italie et l’Espagne, ce Fonds achèterait une part significative de l’encours de leur dette. Il financerait pour un coût modique cette opération en émettant des bons du Trésor européens, le bénéfice revenant aux pays concernés.
Les autorités attribueraient un risque zéro à ces bons du Trésor qui serviraient de collatéraux hautement fiables pour les opérations de cession-rétrocession (repo) de la BCE. Le système bancaire a besoin de toute urgence d’actifs liquides et sans risque. Les banques détiennent un excédent de liquidité de plus de 700 milliards d’euros à la BCE qui leur rapporte bien moins que 1% d’intérêt. Il existe donc tout un marché pour des bons du Trésor à 1% ou moins.
Au cas où un pays participant ne respecterait pas ses engagements, l’Autorité budgétaire européenne pourrait lui imposer une pénalité
une amende par exemple, en proportion de l’infraction, ce qui éviterait qu’elle n’ait pour seul recours l’option nucléaire qu’elle ne pourrait utiliser
Ce serait une protection efficace contre le risque subjectif. Un prochain gouvernement, en Italie par exemple, ne se risquerait pas à violer les engagements du gouvernement Mario Monti, le Premier ministre actuel. Pratiquement la moitié de la dette de l’Italie étant alors financée par des bons du Trésor européen (qui auront le même effet qu’une réduction de la maturité moyenne de sa dette), le prochain gouvernement fera tout pour échapper à une sanction.
A l’issue d’une période convenable, les pays participants entreraient dans un programme de réduction de la dette conçu de manière à ne pas menacer leur croissance. Ce serait le prélude à la construction d’une véritable union politique et à l’introduction d’euro-obligations. Certes, il faudrait que le Bundestag approuve l’émission de bons du Trésor européen – ce qu’il peut faire dans le respect de la décision de la Cour constitutionnelle allemande qui exige que tout engagement approuvé par le Bundestag soit limité dans le temps et dans son ampleur.
Il n’est pas trop tard pour transformer cette proposition en une déclaration politique qui esquisserait non seulement l’objectif à long terme d’une union politique, mais aussi une feuille de route vers une union budgétaire et bancaire. Conformément à cette déclaration, la BCE pourrait alors commencer à constituer des stocks d’obligations espagnoles et italiennes et transférer immédiatement au Mécanisme européen de stabilité les obligations grecques qu’elle détient.
Parallèlement, l’Italie et l’Espagne pourraient réaliser les réformes structurelles nécessaires pour bénéficier de l’aide du Fonds de réduction de la dette. Ce programme constituerait un énorme soulagement pour les marchés financiers et il donnerait un coup de fouet à la dynamique politique européenne qui s’enlise.
Le principal obstacle est l’attitude de fermeture du style « Nous ne pouvons pas » des dirigeants allemands. Angela Merkel veut que l’union politique précède l’union budgétaire et bancaire. C’est irréaliste et déraisonnable. Ces trois unions doivent être réalisées simultanément, étape par étape. Aucun traité, aucune clause constitutionnelle ne peut empêcher la création d’une Autorité budgétaire européenne si l’électorat allemand représenté par le Bundestag donne son accord – sinon le Mécanisme européen de stabilité n’aurait jamais vu le jour. Si le reste de l’Europe s’unit derrière cette proposition et que le Bundestag la rejette, toute la responsabilité des conséquences financières et politiques de ce refus incombera à l’Allemagne.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
George Soros est président du Soros Fund Management et de l’Open Society Institute. Copyright: Project Syndicate, 2012.