Les expatriés qui vivent en Thaïlande, mais qui ont des revenus en euros, auront sans doute remarqué que le cours de l’euro en baht thaïlandais est de nouveau passé en dessous de la barre des 40 baht pour un euro (39,17 ce matin). La crise de l’euro est en effet maintenant entré dans sa phase finale: celle des sorties de pays et des défauts de paiement, en commençant par la Grèce, qui rappellons le ne réprésente que 2% du PIB de la zone euro.
Cette nouvelle baisse est la conséquence du durcissement de la crise de la « dette souveraine » avec les élections et la crise politique en Grèce, et la mauvaise note des agences de rating pour 16 grosses banques espagnoles, provoquant des retraits massifs des épargnants en Espagne.
L’euro a perdu en Thaïlande plus de 20% de son pouvoir d’achat en deux ans
C’est à dire que par rapport à son cours de 2009 (49 baht pour un euro) l’euro a perdu en Thaïlande plus de 20% de son pouvoir d’achat. Par rapport à la crise de 1997, qui avait provoqué une chute de 50% du baht, la situation est exactement inversée: l’Europe est surendettée avec une croissance nulle et une devise surévaluée.
Pas très avantageux si vos revenus sont intégralement en euros, et vos dépenses en baht. Beaucoup d’entre vous surveillent donc sûrement de près la dégringolade de l’euro en se posant la même question : jusqu’où, et jusqu’à quand ? Difficile à prévoir avec certitude. Une chose est certaine: la crise ne fait que commencer.
La sortie de la Grèce n’est maintenant plus qu’une question de temps, puis viendra celle de l’Espagne. Quant à la France, ses finances sont beaucoup plus proches de celles de l’Espagne que de l’Allemagne…. En élisant un président socialiste les Français ont aussi choisi leur camp: celui des pays qui pensent qu’un plan de relance de la croissance est possible, avec plus d’emprunts, plus de fonctionnaires, plus de subventions à l’emploi et en remettant à plus tard les réformes nécessaires et la maitrise des dépenses publiques.
Le dernier acte de la tragédie grecque
La tragédie grecque de l’euro en est au dernier acte : il semble évident que le risque est élevé que la Grèce cesse d’honorer sa dette cette année ou l’an prochain en même temps qu’elle quitte la zone euro.
Le fait de remettre la sortie de zone après l’élection de juin d’un nouveau gouvernement en faveur d’une variante des mêmes politiques inopérantes (l’austérité amplificatrice de récession et les réformes structurelles) ne fera pas revenir la croissance et la compétitivité. La Grèce est prisonnière d’un cercle vicieux d’insolvabilité, de perte de compétitivité, de déficits externes et d’une dépression qui prend de plus en plus d’ampleur.
La seule façon de sortir de cette crise consiste d’instaurer un processus ordonné de sortie de zone et de défaut de paiement, coordonné et financé par la Banque centrale européenne, l’Union européenne et le Fonds monétaire international (la « Troïka »), et qui réduira au minimum les dégâts collatéraux pour la Grèce et le reste de la zone euro.
Le dernier montage financier pour la Grèce, assuré par la Troïka, a donné un allègement de dette beaucoup moins élevé que ce dont le pays a besoin
Quand bien même la dette publique bénéficierait d’un allègement beaucoup plus conséquent, le retour de la croissance la Grèce serait impossible sans un rétablissement rapide de sa compétitivité. Or, sans le retour de cette même croissance, son endettement demeurera à un niveau insoutenable. En revanche, toutes les options qui rétabliraient la compétitivité passent par une dévaluation de la valeur réelle de sa monnaie.
La première option, un affaiblissement prononcé de l’euro, est hors de question, étant donné la robustesse de l’économie allemande et la politique d’assouplissement plus que modeste des conditions monétaires de la BCE. Il est cependant tout aussi improbable qu’une réduction rapide des coûts unitaires de main-d’œuvre, découlant des réformes structurelles, pousse la croissance de la productivité au-delà des augmentations salariales.
L’Allemagne a pris dix ans pour redevenir concurrentielle ; un luxe que la Grèce ne peut se payer, ne pouvant rester en dépression pendant une décennie. De même, une baisse subite des prix et des salaires, qu’on appelle aussi une « dévaluation interne », mènerait tout droit à cinq années de dépression qui ne cesse de s’empirer.
Puisqu’aucune de ces trois options n’est viable, la sortie de la zone euro est la seule voie qui reste
La compétitivité et la croissance seraient rapidement rétablies par un retour à la monnaie nationale, accompagné d’une forte dévaluation.
Évidemment, le processus ne se fera pas sans heurts – et pas uniquement pour la Grèce. Les pertes en capital des institutions financières du cœur de la zone euro demeurent le problème le plus important. Du jour au lendemain, la dette étrangère en euro du gouvernement de la Grèce, des banques et des sociétés augmenterait en flèche. Pourtant ces problèmes ne sont pas insurmontables. L’Argentine s’en est sortie en 2001, quand elle a converti en pesos ses dettes exprimées en dollar. Les États-Unis ont fait quelque chose du genre en 1933, par une dépréciation du dollar de 69 % et l’abandon de l’étalon-or. Une « drachmatisation » du même ordre des dettes euro pourrait bien être nécessaire et inévitable.
Les pertes que les banques de la zone euro devront essuyer seraient maîtrisables, si les banques bénéficiaient d’un renflouement adéquat et substantiel
Pour éviter une implosion après coup du système bancaire grec, il faudra sans doute instaurer des mesures temporaires, comme des gels des dépôts et des contrôles des capitaux, pour éviter une vague chaotique de retraits.
Le Fonds européen de stabilité financière et le Mécanisme européen de stabilité (FESF/MES) devront diriger la recapitalisation nécessaire des banques grecques par des apports directs en capital. Ce qui revient à une prise en charge effective du système bancaire grec par les contribuables européens, qui ne serait cependant qu’une contrepartie partielle des pertes imposées sur les créanciers par la conversion en drachme des créances grecques.
Les pertes seront modérées, étant donné que la Grèce ne compte que pour 2 % du PIB de la zone euro.
La Grèce devra aussi restructurer et resserrer d’un cran sa dette publique. La valeur nominale des créances de la Grèce auprès de la Troïka ne doit pas forcément être réduite, mais l’échéance de la dette doit être reportée d’une autre décennie et son intérêt réduit. Les créances détenues par le secteur privé doivent subir de nouvelles coupes, en commençant par un gel des paiements d’intérêts.
Certains avancent que le fléchissement du PIB réel de la Grèce serait encore plus raide dans un scénario de sortie qu’en galère déflationniste. Mais cette logique ne tient pas, car même en déflation, le pouvoir d’achat baisse et la valeur réelle de la dette s’agrandit (comme le laisse entendre la théorie de la déflation de la dette), à mesure que la dévaluation réelle s’installe.
Mais surtout, la trajectoire de sortie rétablirait sur le champ la croissance, par le biais d’une dévaluation des valeurs nominales, mais aussi réelles, évitant une dépression échelonnée sur dix ans. Et les pertes des échanges commerciaux de la zone euro causées par la dévaluation de la monnaie grecque seront modérées, étant donné que la Grèce ne compte que pour 2 % du PIB de la zone euro.
La réintroduction de la monnaie risque de faire dévaluer la drachme en dessous du taux de change requis pour restaurer la compétitivité, ce qui exercerait des tensions inflationnistes et imposerait de plus grandes pertes sur la dette extérieure convertie en drachme. Pour minimiser ce risque, les réserves de la Troïka actuellement consacrées au renflouement de la Grèce devraient servir à contenir l’emballement de la dévaluation ; en conjonction aux contrôles des capitaux.
Ceux qui prétendent que la sortie de la Grèce contaminera les autres pays sont aussi en déni
Les autres pays périphériques sont déjà confrontés à des problèmes à la grecque de viabilité et d’érosion de compétitivité. Le Portugal, par exemple, devra éventuellement restructurer sa dette et abandonner l’euro.
Les économies en manque de liquidités, mais éventuellement solvables, comme l’Italie et l’Espagne, auront besoin de l’appui de l’Europe peu importe si la Grèce quitte ou non ; en fait, sans cet apport en liquidité, il est fort probable qu’une chute de la valeur de la dette publique italienne et espagnole se déclenche par elle-même.
En plus des apports en liquidité de la BCE, les nouveaux fonds officiels considérables du FMI, de la BCE et du MSE mis à disposition de ces pays permettront d’endiguer le mal et de protéger les banques des autres pays périphériques vulnérables de la zone euro. Quoi que la Grèce fasse, il est urgent de recapitaliser les banques de la zone euro, qui ont besoin d’un nouveau programme d’apports directs de capitaux dans toute l’Union européenne.
Comme en témoigne ces 20 dernières années l’expérience de l’Islande et d’un bon nombre de marchés émergents : une dévaluation nominale et une restructuration ordonnée accompagnée d’une réduction de la dette extérieure peuvent ramener la dette à un niveau plus supportable et rétablir la compétitivité comme la croissance. Les dommages indirects pour la Grèce d’une sortie de la zone euro seront non négligeables, mais, comme dans ces cas, peuvent être contenus.
Dans un mariage en détresse, il est préférable de se fier à des règles fixées d’avance pour l’inévitable divorce, ce qui en réduit le coût pour les deux parties. Ne nous méprenons pas : une sortie disciplinée par la Grèce de la zone euro sera forcément douloureuse sur le plan économique. Mais le spectacle d’une lente implosion erratique de l’économie et de la société grecque pourrait être encore plus pénible à observer.
Traduit par Pierre Castegnier
Nouriel Roubini est président de Roubini Global Economics, professeur d’économie à la Stern School of Business de l’université de New York University et coauteur du livre « Crisis Economics: A Crash Course in the Future of Finance ».
Copyright: Project Syndicate, 2012.
1 comment
La Grèce ne sortira pas de la zone euro. Les conséquences de cette sortie serait bien plus difficile à gérer que son maintien dans la zone euro. Le poids de ce pays en Europe, permet une sauvegarde permanente, par le reste de la communauté des pays donateurs. Aucun de ces « messieurs les politiques » n’acceptera que soit collé à son nom un échec, d’une part et d’autre part, les grecs « jouent sur du velours », car connaissant la position du reste de l’Europe, ils peuvent demander (lire exiger), ce qu’ils veulent. Au jeu du menteur, les grecs restent les plus forts.
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