Le parti Peu Thai l’avait annoncé pendant la campagne électorale, et entend bien tenir ses promesses : un programme massif d’achat public de riz à un prix supérieur au prix de marché sera mis en place, afin de permettre aux riziculteurs thaïlandais de sortir de la pauvreté.
La mesure suscite de nombreuses réactions car le riz n’est pas une céréale comme les autres. Elle constitue la nourriture de base de 3 milliards d’individus sur la planète. En Thaïlande, premier exportateur mondial de riz, le sujet est sensible tant il noue inextricablement des enjeux économiques et politiques. En langue Thaï, le verbe manger (gin khao) se traduit littéralement par « manger riz », c’est dire si le riz fait partie de l’univers quotidien du royaume.
Une augmentation de plus de 50%
Selon le plan de soutien public au cours du riz, le gouvernement achètera le paddy de riz blanc à 15.000 baths (360 euros) alors qu’il s’échange aujourd’hui sur le marché aux alentours de 9.000 baths (216 euros).
Il est difficile d’estimer le coût total du futur plan, étant donné que le gouvernement n’a pas fixé de limite aux volumes potentiellement achetés avec les deniers publics. Mais selon Pridiyathorn Devakula, ancien ministre des finances cité par le Bangkok Post, le coût pourrait atteindre les 250 milliards de baht (environ 6 milliards d’euros) pour la prochaine récolte.
A titre de comparaison, la mesure de subvention directe aux cultivateurs, instaurée par le gouvernement Abhisit, avait coûté 55 milliards de baths (1,32 milliards d’euros)
Les principales critiques formulées à l’encontre du programme concernent les risques considérables d’affaiblissement à moyens termes du secteur du riz thaïlandais. Augmenter le prix d’une denrée pour mieux la vendre, seul le gouvernement thaïlandais y avait pensé.
Une politique dangereuse sur le long terme
« Partout dans le monde, les subventions publiques pour les produits de base ont pour objectif d’aider les exportateurs à demeurer compétitifs en proposant un prix faible. La Thaïlande est le seul pays sur la planète où des subventions visent à augmenter les prix »
constate Vichai Sriprasert, PDG de Riceland International, un des principaux exportateurs de riz thaïlandais, et président émérite de la Thai Rice Exporters Association.
La critique n’est pas sans fondement : en augmentant instantanément de 50% les prix du riz, le gouvernement thaïlandais court le risque d’affaiblir ce secteur sur un marché international où les concurrents ne manquent pas.
Ainsi, à en croire Vichai Sriprasert, le Vietnam, l’Inde et la Birmanie accueilleraient le plan thaïlandais avec enthousiasme, puisqu’il s’agit pour ces pays d’un gain de compétitivité considérable.
Une dégradation de la compétitivité thaïlandaise pourrait s’avérer catastrophique pour les cultivateurs eux mêmes. En effet, premier exportateur mondial depuis 40 ans, la Thaïlande doit exporter la moitié de sa production, soit environ 10 millions de tonnes, pour maintenir l’économie du riz en bonne santé.
Les consommateurs ne continueront pas longtemps à acheter le riz thaïlandais s’il devient artificiellement beaucoup plus cher que le riz vietnamien, indien ou birman.
« Le marché international du riz est libre, personne ne peut y fixer unilatéralement un prix. Il s’agit d’une idée folle. L’immense majorité des fonds consacrés à l’achat du riz ira à une minorité de gros fermiers, de gros exportateurs et de gros meuniers, qui sont tout sauf pauvres ! »,
remarque Ammar Siamwalla, une des économistes thaïlandais les plus reconnus et farouche opposant au plan du gouvernement.
L’étude qu’il a réalisé pour le TDRI (Thailand Development Research Institute) pour évaluer le précédent programme de prix administrés du riz, mis en place par le gouvernement Thaksin, démontre que en définitive les riziculteurs ne sont les bénéficiaires que de 37% des sommes dépensées pour soutenir les cours du riz. Les couts administratifs et de stockage du système sont considérables (14%) et le reste profite surtout aux minotiers(18%) et aux exportateurs (23%).
Une intervention publique aux effets paradoxaux
Les Asiatiques sont les premiers consommateurs de riz au monde. Or, au fur et à mesure qu’ils s’enrichissent, ils privilégient la consommation d’un riz de meilleure qualité et en moins grande quantité.
Cette constatation économico-culinaire semble de bon augure pour la Thaïlande, qui a su demeurer au premier rang mondial des exportateurs grâce à la qualité de son riz.
Cependant, selon Ammar Siamwalla,
« Je vous conseille de regarder ce que ce passe dans les autres pays producteurs: partout où le gouvernement intervient dans la commercialisation du riz, la qualité de celui-ci décline. Or nous avons besoin de donner la priorité à la qualité, pas à la quantité pour rester compétitif dans le futur ».
En résumé, la situation paraît paradoxale : le gouvernement souhaite à tout prix aider un secteur dans lequel la Thaïlande est le leader mondial, et ce depuis quarante ans. Cette aide empoisonnée est d’autant plus absurde que d’autres priorités, bien réelles, existent.
Selon Kanit Sangsubhan, directeur du Fiscal Policy Research Institute,
« La Thaïlande a besoin, dans les cinq années à venir, d’investir environ 4,4 trillions de baths (106,83 milliards d’euros) dans la gestion de l’eau, les chemins de fer, les infrastructures portuaires, l’énergie et la santé afin d’améliorer sa compétitivité. La seule gestion de l’eau, en prenant en compte les mesures de prévention des inondations, requiert un investissement d’environ 300 milliards de baths (7,21 milliards d’euros) sur cette période »
S’adjuger les votes des fermiers n’est pas une raison suffisante pour mettre en péril un des fleurons de l’économie thaïlandaise. Même si la situation n’est pas idyllique, preuve en est la mainmise de quelques sociétés sur l’exportation du riz ou les inégalités considérables entre les fermiers, la mise en place d’une mesure populiste à l’efficacité douteuse n’arrangera pas les choses