À Bangkok, les étals des artisans thaïlandais rivalisent avec des produits à bas coûts importés de Chine. À quelques milliers de kilomètres de là, des usines à textile indonésiennes ferment leurs portes, incapables de lutter contre l’invasion de marchandises à prix cassés.
Dans tout le Sud-Est asiatique, des milliers d’usines et de commerces locaux ferment leurs portes. Ils sont laissés pour compte face à l’ascension des produits chinois, soutenus par des accords commerciaux régionaux, une logistique et des innovations efficaces qui penchent en leur faveur.
Les gouvernements de la région, longtemps séduits par les opportunités commerciales offertes par la Chine, se retrouvent aujourd’hui à un carrefour difficile : protéger leurs savoir-faire ancestraux ou s’adapter aux forces du marché international ?
Une concurrence déloyale ?
Les accords de libre-échange : un avantage pour la Chine
Des accords tels que la Zone de libre-échange de l’ASEAN (AFTA) et le Partenariat économique régional global (RCEP) facilitent la circulation des marchandises en réduisant drastiquement les barrières tarifaires. Le RCEP, signé en 2020, regroupe 15 pays dont la Chine et les 10 membres de l’ASEAN, représentant près de 30 % du PIB mondial. Ce méga-accord offre à la Chine un accès élargi aux marchés d’Asie du Sud-Est tout en réduisant les taxes douanières sur ses exportations.
De janvier à juillet de cette année, l’ASEAN est restée le plus grand partenaire commercial de la Chine. Le volume des échanges de biens entre la Chine et l’ASEAN s’élevait à 3,92 trillions de yuan, soit environ 509,6 milliards d’euros. En Thaïlande, par exemple, les importations chinoises ont dépassé les 100,1 milliards d’euros l’année dernière, alimentées par des produits manufacturés à faible coût.
Une chaîne logistique imbattable
La Chine a massivement investi dans des infrastructures pour faciliter ses exportations, notamment avec la ligne ferroviaire Laos-Chine inaugurée en 2021, reliant Kunming à Vientiane, ce qui réduit les délais de transport.
Par ailleurs, des plateformes de commerce électronique comme AliExpress et Taobao captent jusqu’à 30 % des ventes des détaillants thaïlandais.
Des pratiques commerciales controversées
La concurrence chinoise en Thaïlande ne se limite pas à des avantages structurels, mais inclut également des pratiques aux frontières de la légalité.
Certaines entreprises chinoises exploitent des failles légales à travers des sociétés de façade, permettant d’importer des produits bon marché et souvent non taxés. Le phénomène du « transport à zéro dollar » en est un exemple, où des ressources chinoises sont utilisées sous couverture locale.
De plus, une saisie à Bangkok a révélé des millions de bahts de produits cosmétiques importés illégalement, exemple de l’ampleur du commerce clandestin.
Industries locales en crise : un impact direct en Thaïlande.
La concurrence des entreprises chinoises à bas coûts a des répercussions directes sur les industries locales à travers l’Asie du Sud-Est. Des secteurs clés comme la céramique, le textile, et la logistique se retrouvent étranglés par des pratiques de prix agressives et des stratégies commerciales qui mettent en grand péril la rentabilité des producteurs locaux.
L’industrie céramique en Thaïlande : le cas de Lampang
Meelarp Tangsuwana, artisan depuis 35 ans, est mis directement en difficulté par la concurrence chinoise; lui qui vend des bols à soupes peints à la main, vendus à 18 bahts (0,50 €), fait face à une offre concurrente de bols chinois standardisés proposés à 8 bahts (0,22 €).
La province de Lampang, autrefois un haut-lieu de la production céramique en Thaïlande, est aujourd’hui en crise. La moitié des usines ont fermé, minées par les importations illégales et l’incapacité des PME locales à se moderniser ou réduire leurs coûts.
Le secteur logistique thaïlandais : une guerre des prix perdue d’avance
La compétitivité logistique est cruciale pour le commerce international, car elle influence directement les coûts de transport et la chaîne d’approvisionnement.
En Thaïlande, des transporteurs comme Pinij Srianchalee ferment leurs portes face à des prix cassés par les entreprises chinoises, qui facturent seulement 30 000 bahts pour transporter des durians au Laos, contre 80 000 bahts pour les Thaïlandais.
Les entrepôts chinois, eux, proposent des tarifs bien plus bas, à 70 bahts par mètre carré, contre 250 bahts pour les acteurs locaux.
Protéger ou s’adapter : le dilemme des gouvernements
Les gouvernements d’Asie du Sud-Est commencent à se réveiller face à l’invasion des produits chinois à bas prix qui mettent à mal leurs industries locales. Mais entre les appels à la protection des savoir-faire et la nécessité de s’adapter à un monde globalisé, la voie à suivre est encore incertaine.
Une pression croissante sur le gouvernement thaïlandais
Face à la fermeture rapide des entreprises locales, le gouvernement thaïlandais, traditionnellement favorable à des relations commerciales ouvertes avec la Chine, prend un tournant.
Le 19 juin dernier, le Ministère des Finances thaïlandais a annoncé une nouvelle mesure qui permettrait de rétablir une concurrence équitable : taxer par TVA les biens importés coûtant moins de 1500 bahts (41,52€). Cette mesure, dont la période d’application était initialement prévue jusqu’au 31 décembre 2024, a été prolongée pour toute l’année 2025, a annoncé cet après-midi (Mardi 3 décembre), la Première Ministre Paetongtarn Shinawatra suite à une réunion hebdomadaire du Cabinet (Conseil des Ministres).
En septembre 2024, le ministre thaïlandais du Commerce, Pichai Naripthaphan, a promis d’agir contre les importations illégales et de soutenir les entreprises locales contre la concurrence déloyale. Une mesure clé : les plateformes de commerce électronique, telles que Temu, qui inondent le marché de produits bon marché, pourraient bientôt être obligées de s’enregistrer localement et de payer des taxes plus élevées.
Des réponses similaires en Malaisie et Indonésie
Face à l’invasion des produits chinois bon marché, la Malaisie a introduit en janvier une taxe de 10 % sur les importations de moins de 500 ringgits (106,4€), mais son impact reste limité.
En Indonésie, la situation est plus grave, avec des fermetures d’usines et la perte de 13 000 emplois entre janvier et juillet 2024, principalement à cause de la concurrence des plateformes comme Shopee et Lazada. Le gouvernement a réagi avec des taxes d’importation de 100 à 200 % sur des produits comme les textiles et la céramique, espérant offrir un répit aux industries locales.
Une course contre la montre
Les gouvernements de l’Asie du Sud-Est se retrouvent dans une position délicate : ils ne peuvent pas négliger les échanges commerciaux avec la Chine, mais en même temps, ils doivent protéger les secteurs vitaux de leurs économies nationales
Face à la concurrence acharnée, les consommateurs thaïlandais se mobilisent autour de campagnes « achetez local » pour soutenir les produits nationaux.
Cependant, les réponses fiscales ne suffisent pas à inverser la tendance. Les industries locales, comme le textile en Indonésie, sont déjà en péril avec des fermetures massives d’usines et des pertes d’emplois.
Les paroles de Meelarp Tangsuwana résonnent ainsi comme un appel à l’action :
À court terme, des taxes plus strictes à l’importation comme celles mises en place par l’Indonésie, ou la Thaïlande pourraient offrir un répit. Mais pour une véritable survie à long terme, l’innovation reste clé. Il est impératif d’introduire des normes de qualité plus strictes, de renforcer la surveillance des importations illégales et de soutenir l’innovation pour renforcer la compétitivité des industries locales. Sans cela, la course pour survivre dans ce paysage économique mondial sera de plus en plus difficile.
Sources :
Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP) – ASEAN
RCEP et CPTPP : quelles retombées économiques pour le Vietnam ?
Asean Press – Why ASEAN has become China’s largest trading partner
Cabinet extends VAT on low-cost imports until end of 2025 – Nation Thailand
Thailand makes key interim changes for collection of VAT/excise tax on Low-Value Goods imports – EY