Il y avait seulement quelques clients la nuit dernière au Pension Grilparzer, la plupart d’entre eux essayant de faire durer une bière et deux cigarettes jusqu’à ce qu’il arrête de pleuvoir et qu’ils puissent rentrer à la maison. Ying, la barmaid obèse écoutait la radio et au fond de la salle Kevin jouait au billard tout seul. Kevin joue toujours au billard tout seul parce que personne n’aime Kevin.
Nit, la copine de Kevin, était assise au bout du bar, scrutant l’infini et tirant compulsivement des peaux du coin de ses ongles. Elle avait un verre d’eau en face d’elle, un verre donné par Ying et elle essayait de faire durer cette eau comme si c’était une bière et deux cigarettes. Personne n’a jamais vu Kevin payer un verre à Nit.
Kevin est d’âge moyen, de taille moyenne et de corpulence moyenne. En fait, son seul signe distinctif est un menton fuyant. À un moment donné dans le passé, une femme a brisé le cœur de Kevin, ce qui l’a rendu amer et mesquin. La douleur de Kevin est aussi déplacée au Pays du Sourire et aussi évidente que l’aurait été un grand sombrero doré sur sa tête. Il est le genre d’Occidental expatrié qui écrit des lettres aux journaux locaux pour dire à quel point les femmes farangs sont grosses et laides et à quel point sont belles, féminines et désirables les femmes asiatiques. Mais comme seule la plus désespérée des femmes de n’importe quelle race s’intéresserait à Kevin, vous pouvez imaginer que Nit n’est pas près d’embellir les couvertures des magazines de mode.
Elle est courte sur pattes et plate, elle marche avec les pieds tournés vers l’intérieur, elle a des fesses plates, des épaules étroites et un large bassin qui vu de derrière fait penser à une paire de parenthèses. Nit ne parle jamais quand Kevin est dans les parages et dans les rares occasions où elle sourit, elle cache toujours sa bouche avec une main, aussi pouvez-vous supposer qu’elle a une mauvaise dentition. La nuit dernière, ses cheveux n’étaient pas très propres et elle arborait un coquard à l’œil gauche là où elle a pris le dos d’une main il n’y avait pas très longtemps.
Elle portait un short miteux et un T-shirt faisant la publicité d’un bar à gogo que Kevin fréquente la première semaine de chaque mois quand ses dividendes sont versés. Elle était venue à bout de l’épiderme de ses doigts et elle était en train de gratter compulsivement une piqure de moustique sur son mollet quand les routards allemands arrivèrent en courant sous la pluie.
Étienne Rosse
TROIS AUTRES THAÏLANDE
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Traduit de l’anglais (États-Unis) par David Magliocco