Loin de tout exotisme bon marché et accessible à tout public, ce livre est composé d’histoires courtes qui sont basées sur des faits réels. L’auteur a vécu sept ans à Phuket et a été chroniqueur pour le quotidien thaïlandais The Nation.
« Excusez-moi monsieur, vous connaissez une fille qui s’appelle Lek ?
Derek leva les yeux de ses nouilles et examina soigneusement l’homme : vieux, peut-être soixante-dix ans, peut-être cinquante. Des tongs élimées en caoutchouc, un short usé, une chemise en flanelle défraîchie et autour de sa taille un pah khao ma, une pièce de tissu aux motifs traditionnels du nord-est.Derek se dit que quoique le vieil homme vende, il n’en voulait pas. — Non, dit-il. » C’était un mensonge bien sûr ; la moitié des femmes s’appelle Lek en Thaïlande.
Derek retourna à ses nouilles. Manger des nouilles demande beaucoup de concentration ; tout dans le bol n’est pas sensé être mangé. Le vieil homme traîna ses pieds jusqu’à la table suivante et répéta sa question. L’endroit était presque complet pour le déjeuner et comme il était près de la plage, des touristes se mêlaient à la clientèle thaïlandaise.
Le vieil homme posa dans un thaï très soutenu la même question aux dîneurs thaïlandais ; il utilisa avec les Farangs la même formule qu’il avait utilisée avec Derek.
« Excusez-moi monsieur, madame, vous connaissez une fille qui s’appelle Lek ? »
On le regarda avec des yeux ronds et on l’envoya promener sans ménagement. Alors que Derek glanait les derniers morceaux comestibles dans ce qui restait au fond du bol, le vieil homme fit le tour de la pièce et repassa au niveau de la table de Derek. Derek remarqua son regard et il fut surpris. N’importe quel marchand ambulant qui après avoir démarché une salle pleine d’ouvriers thaïlandais et de vacanciers aurait été déçu s’il était reparti sans rien vendre.
Une petite vendeuse de fleurs âgée de cinq ans aurait fait fortune ici et n’importe quelle entraîneuse de bar qui aurait approché autant de prospects et serait repartie les bras ballants, aurait changé de travail. Mais le vieil homme avait la même expression tranquille et perplexe que lorsqu’il était venu dans cet endroit.
Qui que soit Lek, se dit Derek, il avait l’habitude de la chercher. Derek paya sa note et sortit dans la lumière éblouissante et la poussière de la rue. Il déroula ses manches puis tira bas la visière de sa casquette sur ses yeux et alors qu’il rejoignait la rue, il vit de nouveau le vieil homme. Celui-ci se tenait sous la marquise de la pharmacie voisine.
Il regardait les bars à filles qui était alignés de l’autre côté de la rue, la plupart étant vides à cette époque de l’année. Ceux qui étaient ouverts pendant la saison basse étaient bien sûr fermés, leurs employées n’en étant qu’à la moitié de leur repos diurne.
Étienne Rosse
TROIS AUTRES THAÏLANDE
Nouvelles
Traduit de l’anglais (États-Unis) par David Magliocco
En vente sur Livres de Thailande