Une décennie s’est écoulée de 2001, date de la première publication de Thaïlande contemporaine, à 2011, date de sa réédition. Que pouvons-nous dire et déduire de l’évolution de ce pays paradoxal ? Tout d’abord, si la première version s’arrêtait à l’élection de Thaksin, il est immédiatement compréhensible que la réédition ne peut pas encore dépasser « l’épisode » Thaksin dont les partisans ont récemment occupé les rues de Bangkok.
La question se pose encore de savoir ce que va devenir le pays après le coup d’État militaire en 2006, et l’exil de l’ancien Premier ministre sous le coup d’une condamnation à deux ans de réclusion.
Tout changer pour que rien ne change ?
Le mouvement rouge se réclame pour partie de lui et constitue une force politique majeure. Cependant, au-delà de l’événementiel, se dessinent les structures sociopolitiques habituelles avec leurs soubresauts, inscrits dans les rapports de force habituels. Remarquons alors, comme le disent Arnaud Leveau et Thongchai Winichakul qu’en Thaïlande « il faut tout changer pour que rien ne change ».
Le plan est connu : l’armée, les Premiers ministres otages de celle-ci ou condamnés par la justice instrumentalisée, les marchandages et achats de politiciens, la population manipulée par des élites. Certes, la présence de la société civile et des médias associés donne un ton particulier à cette révolution sociale en cours. Si la Thaïlande procure l’impression de changer, ce n’est peut-être que pour mieux remettre en selle ses élites tout en faisant une place aux nouveaux venus et en redistribuant certaines cartes.
Thaksin et l’émergence d’une société rurale
Des éléments nouveaux apparaissent ainsi que des associations improbables ; mais sont-ils la marque d’un véritable désir de changement ? Thaksin a permis l’émergence d’une société rurale qu’il incarne assez paradoxalement. Il a réussi à « bouger les lignes » d’une Thaïlande bloquée dans son art du consensus et donc dans un immobilisme social qui arrangeait hommes d’affaires et politiciens.
Comment a-t-il réussi ? Tout d’abord en ne jouant pas le « jeu » d’images et les rôles traditionnels des élites qui se partageaient les ressources du pays. Il n’a pas exploité les « masses » pour « nourrir » les politiciens (expression thaïlandaise), mais bien plus pour sortir le pays d’une certaine léthargie ; il a donc jeté un certain flou dans le fonctionnement traditionnel des élites entre elles et entre les élites et la population. Ensuite, sa politique économique fut aussi proche des démocrates que sa façon d’agir l’était des autres partis plus « personnalisés » et n’ayant que leurs intérêts en jeu.
Une deuxième rupture donc qui a été suivie bientôt par une troisième rupture, celle qui a projeté la Thaïlande dans le XXIe siècle sans que ses élites ne s’y adaptent. Les politiciens et hommes d’affaires (pour la plupart) n’ont pas su sortir du jeu traditionnel thaïlandais et se sont laissés déborder. Thaksin a brouillé les cartes, déstabilisé les élites et hommes d’affaires.
Ajoutons qu’il a donné aux gens des campagnes une existence véritable (ce qui explique la facilité de sa réélection) et qu’il a voulu poursuivre sa quête du pouvoir de façon exponentielle dans son ascension, à un point tel qu’il en est devenu menaçant pour la puissance de l’armée et pour la monarchie dont il s’est trop approché.
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La Thaïlande est en pleine effervescence, mais son avenir incertain. La crise politique et le blocage des institutions durant l’opposition des Chemises jaunes et des Chemises rouges ont montré les limites du développement social et économique tant vanté : le « modèle thaïlandais ».
Celui-ci a-t-il d’ailleurs jamais existé ? Comment la Thaïlande doit-elle aujourd’hui se moderniser ? Au-delà d’une certaine façon d’être Thaïlandais, le vrai visage du pays commence à apparaître.
En analysant les fondamentaux historiques et économiques du pays mais aussi en observant son système éducatif et ses forces culturelles latentes, Thaïlande contemporaine offre un regard critique, moderne et original pour comprendre ce qui fait de la Thaïlande un pays unique et contrasté.
Cette monographie nationale réunit 21 auteurs qui abordent sans tabous la structuration d’une idéologie nationale, permettant une réévaluation de la question complexe de l’identité thaïlandaise en prise avec la mondialisation.
Cet article a été rédigé à partir d’extraits de la préface de « Thailande contemporaine », publié sous la direction de Stéphane Dovert et Jacques Ivanoff par l’Irasec
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