La Thaïlande, un pays longtemps perçu comme un modèle de développement et de démocratie asiatique, a découvert ces dernières années les limites de son expansion et de sa capacité à se libéraliser aussi bien économiquement que culturellement. Elle est toujours partagée entre des forces institutionnelles et politiques archaïques, des résiliences ethniques ou régionales.
Rappelons que l’immobilisme social de la Thaïlande et certaines traditions conçues comme autant de « filets de sécurité » ont disparu dans la vague d’un développement sans limites morales. Elles étaient issues du bouddhisme qui inculque des valeurs de patience, de respect de la hiérarchie et d’acceptation de sa condition.
Les principes du bouddhisme malmenés par l’expansion économique
Le matérialisme thaïlandais a frappé de plein fouet les préceptes religieux (Louis Gabaude) et a même touché le sangha lui-même, une communauté de bonzes qui n’est pas toujours à la hauteur de sa mission première d’éducation et de préservation des préceptes du Bouddha. Les valeurs morales changent.
Il faut donc mettre en parallèle les traditions, la plupart issues du bouddhisme, avec l’évolution des mentalités. Akin Rabibhadana, Paritta Chalermpow Koanantakool ou Thongchai Winichakul réévaluent les séquences historiographiques et analysent les grands tournants qui ont marqué les changements de mentalités.
La société civile s’exprime
Toutes ces remises en cause permettent de comprendre comment le pays a fonctionné sur des bases irréelles, comment il s’est leurré dans un modèle et comment ce mensonge est devenu un frein. Désormais, la société « civile », même si elle est souvent manipulée par des politiciens, des hommes d’affaires et l’armée, s’exprime ; les segments oubliés ou contraints au silence (intellectuels, paysans, régionalistes) veulent maintenant prendre la parole et présenter leur vision de l’histoire. La nécessité d’une histoire des interstices que prônait Thongchai Winichakul en 2002 s’impose.
Émergent également un changement de perception quant à l’identité, l’expansion économique et le rayonnement culturel de la Thaïlande. L’échec de la décentralisation, par exemple, montre bien les limites du modèle et le piège du miroir occidental renvoyant une image du réel construite sur l’absolu du développement et qui, même relativisée, n’en demeure pas moins le fondement de la construction sociale « évolutive ».
Ce paradigme s’est adapté aux normes thaïlandaises (respect au chef, thainess, clientélisme, achat de voix, corruption…) mais a créé d’autres obligations imposées de l’extérieur dont la population a finalement peu bénéficié (libéralisation des marchés, exploitation du salariat, recours à l’emprunt, décentralisation, bonne gouvernance, droits de l’Homme).
Les Thaïlandais n’étaient plus maîtres de leur destin. La crise de 1997 a mis fin au mythe d’un modèle économique thaïlandais qui serait assez discriminant pour ne prendre que « ce qui est bon pour le pays ».
Thaïlande contemporaine
La Thaïlande est en pleine effervescence, mais son avenir incertain. La crise politique et le blocage des institutions durant l’opposition des Chemises jaunes et des Chemises rouges ont montré les limites du développement social et économique tant vanté : le « modèle thaïlandais ».
Celui-ci a-t-il d’ailleurs jamais existé ? Comment la Thaïlande doit-elle aujourd’hui se moderniser ? Au-delà d’une certaine façon d’être Thaïlandais, le vrai visage du pays commence à apparaître.
En analysant les fondamentaux historiques et économiques du pays mais aussi en observant son système éducatif et ses forces culturelles latentes, Thaïlande contemporaine offre un regard critique, moderne et original pour comprendre ce qui fait de la Thaïlande un pays unique et contrasté.
Cette monographie nationale réunit 21 auteurs qui abordent sans tabous la structuration d’une idéologie nationale, permettant une réévaluation de la question complexe de l’identité thaïlandaise en prise avec la mondialisation.
Cet article a été rédigé à partir d’extraits de la préface de « Thailande contemporaine », publié sous la direction de Stéphane Dovert et Jacques Ivanoff par l’Irasec
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