La Thaïlande est célèbre pour son art martial traditionnel, le Muay Thai, également connu sous le nom de boxe thaïlandaise. Cependant, une pratique controversée a émergé dans ce pays : les combats d’enfants souvent motivés par des raisons économiques.

Le Muay Thaï, cet art martial emblématique de la Thaïlande, attire chaque année des milliers de touristes fascinés par sa technicité et son aura culturelle. Né à l’époque d’Ayutthaya comme technique de combat militaire, il s’est transformé en un pilier de l’identité thaïlandaise. Pourtant, derrière les projecteurs des stades de Bangkok et les spectacles pour touristes, une réalité souvent méconnue persiste : celle des combats d’enfants.

L’univers des jeunes combattants

Dans les provinces thaïlandaises, de nombreux enfants, parfois âgés de seulement 6 à 12 ans, s’entraînent intensément pour monter sur le ring. Ces matchs, prisés des locaux et des parieurs, sont autant une source de divertissement qu’un moyen pour ces jeunes de soutenir financièrement leur famille.

Pour mieux comprendre cet univers, je me suis rendu à Krabi, une ville célèbre pour ses plages paradisiaques, mais aussi pour sa scène de Muay Thaï unique. Ici, loin des grandes arènes de la capitale, les enfants combattent sous les regards attentifs des spectateurs locaux.

Le rapport culturel au combat en Thaïlande

En Thaïlande, le rapport au combat est profondément ancré dans la culture. Contrairement à l’Occident, où les sports de combat sont souvent perçus comme violents ou marginalisés, ici, ils sont une pratique normale, voire essentielle pour certains. Combattre, dès le plus jeune âge, n’est pas seulement une question de sport ou de compétition : pour beaucoup, c’est un moyen de subsistance.

En effet, le Muay Thaï est bien plus qu’un simple sport dans ce pays. Il s’agit d’une tradition séculaire, transmise de génération en génération, qui incarne des valeurs telles que le respect, la discipline et le courage. Pour de nombreux enfants issus de milieux modestes, intégrer un camp de boxe représente une opportunité unique de sortir de la pauvreté et de soutenir leur famille. Les combats ne sont donc pas seulement des démonstrations sportives, mais aussi des moments chargés d’émotions et de significations profondes.

Le Muay Thaï offre deux scénarios distincts, valables aussi bien pour les enfants que pour les adultes :

  • Une passion pour devenir champion : Certains combattants s’investissent corps et âme dans cet art martial, motivés par le rêve de gravir les échelons et d’atteindre un jour la gloire. Pour eux, chaque combat est une étape vers un objectif ambitieux.
  • Une nécessité pour survivre : Pour d’autres, le ring représente une opportunité de gagner de l’argent et de subvenir aux besoins de leur famille. Dans ces cas, le combat n’est pas une vocation, mais une obligation, souvent imposée par des conditions de vie précaires.

Ces motivations influencent directement l’expérience des boxeurs, façonnant leur relation avec ce sport.

Entraînements intenses et combats exigeants

J’ai exploré plusieurs salles de Muay Thaï, ou j’ai pu observer des séances d’entraînement intenses et constater que les jeunes boxeurs mènent un quotidien empreint de discipline rigoureuse. Leur journée commence tôt, souvent par une course de 5 à 10 km avant les cours, qui s’étendent généralement de 8h à 15h30. Les entraînements, qui ont lieu six jours par semaine, se déroulent ensuite entre 16h et 18h.

Contrairement aux adultes, ces enfants jonglent entre études, entraînements et compétitions. Pourtant, sur le ring, ils sont traités comme des professionnels. Les combats respectent les règles des ligues adultes : coups de coude, genoux autorisés, et une protection limitée à un simple protège-dents.

Les enjeux financiers et les risques

Chaque victoire rapporte une compensation financière, souvent essentielle pour les familles des jeunes boxeurs. Cependant, cette pratique soulève des questions éthiques. Les enfants sont exposés à des risques d’exploitation :

  • Familles : Certains parents encouragent un nombre élevé de combats pour subvenir aux besoins du foyer.
  • Salles d’entraînement : Les entraîneurs perçoivent des commissions sur les combats, ce qui peut les inciter à surmener les enfants.
  • Promoteurs : Ils n’hésitent pas à organiser des matchs déséquilibrés pour attirer plus de spectateurs.

La répétition des combats peut entraîner des blessures graves, compromettant la santé et l’avenir de ces jeunes. Il est crucial que ces enfants comprennent les risques et qu’ils soient suffisamment matures pour prendre de telles décisions. Cependant, aucune véritable protection ou garantie ne leur est assurée, laissant ces enfants exposés à des dangers préoccupants.

L’expérience d’un jeune boxeur

Pour documenter cette réalité, j’ai accompagné un enfant, Sanit, âgé de 8 ans, lors de son premier combat au Ao Nang Boxing Stadium.

Il est 21h30. Dans les coulisses, Sanit se prépare entouré de sa mère et de ses entraîneurs. Tandis qu’il est huilé et bandé, je lui demande comment il se sent. Avec une détermination touchante, il répond : « Ce soir, je vais gagner. Je me suis entraîné durement et ma maman me regarde. »

Lorsque la cloche sonne après le rituel traditionnel du Wai Kru, Sanit entre dans l’arène. Le combat est intense. Après cinq rounds disputés, il remporte la victoire. Rempli de bonheur et fier, il me confie : « Je vais être champion un jour. » Peu après, le promoteur lui remet une enveloppe contenant sa récompense, qu’il passe immédiatement à sa mère.

Si Sanit semble animé par une véritable passion pour le Muay Thai, mêlant ambition et volonté d’aider sa famille, ce n’est pas le cas de tous les enfants combattants. Derrière la surface éclatante de ce sport, ils sont des milliers à monter sur le ring chaque semaine, souvent poussés par des motivations bien différentes.

J’ai pu observer d’autres adolescents pour qui les combats semblaient être une contrainte plutôt qu’un choix. Certains n’affichaient ni l’enthousiasme ni la fierté de Sanit, et allaient jusqu’à simuler un KO, peut-être pour abréger l’affrontement et simplement toucher leur récompense.

Ces scènes témoignent d’une réalité complexe, où le Muay Thai devient parfois un fardeau pour de jeunes boxeurs qui, faute d’alternatives, se retrouvent enfermés dans un système leur imposant de tels sacrifices.

En 2018, le décès d’un jeune boxeur de 13 ans, Petchmongkol Por Peenaphat, a ému la nation et a soulevé des questions sur la sécurité et la légalité de la boxe pour les enfants. La loi thaïlandaise interdit la boxe professionnelle pour les enfants de moins de 15 ans, mais cette règle n’est pas toujours respectée. 

Une tradition à réinventer

Lors de mon séjour, j’ai été profondément fasciné par cet art martial. Plus qu’un sport, il représente une école de vie, transmettant des valeurs telles que l’humilité, le respect et la discipline, tout en créant un lien unique entre ses pratiquants.

Au fil du temps, le Muay Thaï a également gagné une reconnaissance internationale, attirant des pratiquants et des spectateurs du monde entier. De nombreux étrangers viennent en Thaïlande non seulement pour apprendre cet art martial, mais aussi pour s’immerger dans la culture et les traditions qui l’entourent. Les camps de boxe thaïlandaise deviennent ainsi des lieux de rencontre entre différentes cultures, où chacun partage une même passion. Cette ouverture a permis au Muay Thaï de devenir un véritable pont entre les nations, tout en préservant son essence et ses racines profondément ancrées dans l’histoire thaïlandaise.

Cependant, derrière cette façade noble et inspirante, le Muay Thai soulève des questions sur le bien-être et les droits des jeunes combattants. Si cette discipline offre à certains une échappatoire ou une opportunité de se dépasser, elle peut également devenir une source de pression insoutenable, voire un véritable poids, pour d’autres enfants.

L’enjeu est de préserver ce patrimoine culturel tout en veillant à protéger ceux qui le perpétuent. Il appartient aux familles, aux institutions et à la société thaïlandaise dans son ensemble d’assurer que cette pratique reste un levier d’épanouissement, et non une contrainte pour ces jeunes athlètes. 

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