Les récents recensements révèlent que 95 % de la population thaïlandaise s’identifie comme ethniquement thaïe. Cependant, ces chiffres dissimulent une réalité historique et culturelle bien plus complexe.
L’idéal national, bâti autour de l’ethnie thaïe, s’est accompagné d’une volonté d’assimilation qui a souvent relégué au second plan d’autres groupes ethniques. Malgré ces pressions, ces communautés continuent d’exister et enrichissent la diversité culturelle du Royaume.
Unification et assimilation : une histoire façonnée par la dynastie Chakri
La Thaïlande moderne s’est construite sur des siècles de conquêtes, d’annexions et de migrations. Sous la dynastie Chakri, un processus d’unification nationale s’est accéléré, combinant la famille linguistique Tai et la notion de peuple thaï pour consolider un État-nation.
Dès le XIXe siècle, cet ethnocentrisme, incarné par des penseurs comme Luang Wichitwathakan, a cherché à homogénéiser une population diversifiée. Les Laotiens de l’Isan, les populations malaisiennes du sud et les vagues migratoires chinoises ont été progressivement assimilés. Ce processus s’est intensifié après la Seconde Guerre mondiale, malgré des réalités linguistiques variées : seuls 33 % des Thaïlandais parlent le thaï central, tandis que le reste s’exprime dans des dialectes parfois mutuellement incompréhensibles.
Le changement de nom du Siam en Thaïlande en 1939, sous l’impulsion du maréchal Plaek Phibunsongkhram, a constitué une étape majeure de ce processus. Cette modification n’était pas qu’un simple acte symbolique : elle visait à renforcer l’identité thaïe comme ciment national, en mettant en avant la prédominance de l’ethnie thaïe au sein d’un État unifié. Ce choix, accompagné de politiques culturelles et linguistiques, a contribué à réduire la visibilité des autres groupes ethniques au sein du royaume.
L’exemple des Thaïs Isan illustre cette dynamique. Bien qu’ils représentent environ 20 millions de personnes et partagent une parenté culturelle avec les Laotiens, leur identité a été effacée des recensements officiels entre 1890 et 1910. Aujourd’hui encore, ils ne sont pas reconnus comme une minorité ethnique distincte, malgré les rapports du CERD.
Une mosaïque culturelle et linguistique
La diversité ethnique de la Thaïlande demeure visible à travers ses différents groupes linguistiques et culturels :
- Thaï central (Siamois) : 25 millions de locuteurs, représentant l’identité dominante.
- Thaï Isan (Lao) : 18,5–20 millions de personnes, souvent marginalisées.
- Thaï Yuan (Lanna) : 6–7 millions, principalement dans le nord.
- Thaï du sud : 5,5 millions, marqués par des spécificités culturelles régionales.
Ces groupes partagent majoritairement le bouddhisme Theravāda, mais leurs pratiques et croyances culturelles varient largement.
Le cas des musulmans du sud
Les régions méridionales abritent la plus grande minorité musulmane du pays, issue d’une longue histoire de cohabitation et de tolérance. Présents depuis le IXe siècle, ces musulmans ont des origines variées :
- Certains sont des Thaïs ethniques convertis.
- D’autres descendent des populations malaises annexées par le Siam, notamment lors de la division du sultanat de Patani au XIXe siècle.
Aujourd’hui, les provinces frontalières du sud comptent une population majoritairement malaise (80 %). Les Thaï malais parlent le malais Kelantan-Pattani, distinct de la langue malaisienne standard, et maintiennent des pratiques culturelles uniques malgré les tensions historiques liées à leur intégration.
Les peuples autochtones : une richesse en péril
Les peuples autochtones, souvent désignés sous le terme péjoratif de Chao-Khao (gens des montagnes), vivent dans des régions reculées du nord et du sud. Ils comprennent des groupes tels que les Karen, Hmong, Akha, Lahu et Lisu, dont le mode de vie tribal et leurs traditions anciennes subsistent malgré de nombreuses pressions.
- Population totale estimée : 7,2 % de la population thaïlandaise.
- Lutte actuelle : perte de terres, comme à Rawai (Phuket), où des communautés indigènes telles que les Chao Ley sont confrontées à des expropriations pour le tourisme.
La division des frontières nationales en Asie du Sud-Est a également fragmenté ces peuples, les dispersant entre la Thaïlande, le Myanmar, le Laos et la Chine, tout en compromettant leurs droits et leurs modes de vie.
Derrière l’apparente homogénéité ethnique du Siam se cache une pluralité d’identités et de cultures, chacune ayant contribué à façonner le pays. Si les politiques d’assimilation ont uniformisé une partie de la population, les divers groupes ethniques et autochtones témoignent encore de la richesse et de la complexité du Royaume. À l’heure où les enjeux identitaires et la mondialisation s’entrelacent, préserver cette diversité devient un défi majeur pour la Thaïlande contemporaine.
1 comment
Bonjour,
Un gigantesque merci pour cet article de la part d’un expatrie marie a une femme Thaie et vivant dans la campagne centrale de ce pays….Meme si j’ai d’enormes difficultes a memoriser le « Thai central », je persiste dans son etude………et votre article me renforce dans ce travail. (excusez les accents, probleme de clavier)….
Cordialement