Depuis six mois, les Thaïlandais se ruent sur une médaille censée posséder des pouvoirs magiques. Une manne pour la ville méridionale de Nakhon Si Thammarat, centre du commerce de ces talismans à l’effigie d’une divinité légendaire.

Fini Phuket et Koh Samui. La première destination touristique de Thaïlande aujourd’hui, c’est la ville méridionale de Nakhon Si Thammarat, située à plus de 700 kilomètres de Bangkok. Quatre vols quotidiens en provenance de la capitale y déversent un flux continu de visiteurs, essentiellement thaïlandais. Les autorités locales estiment à 1,6 million le nombre de visiteurs en 2006, une charge considérable au vu de la modestie des ressources hôtelières.

Ce n’est pas le riche patrimoine historique de la ville qui attire les visiteurs, mais une amulette à l’effigie d’une divinité populaire appelée Jatukam Ramathep (on ne trouve pas trace de cette divinité dans les textes bouddhistes et hindous, mais elle serait le résultat de la contraction dans l’imaginaire populaire moderne de Kataragama et Rama, deux divinités issues du panthéon sri-lankais et honorées au grand stupa de Nakhon Sri Thammarat). Toute la Thaïlande s’est prise de passion pour ce talisman censé posséder des pouvoirs magiques, mais c’est à Nakhon Si Thammarat, où tout a commencé, que le paroxysme a été atteint. Un habitant sur deux porte la fameuse amulette.

Celle-ci est facilement reconnaissable. Elle ressemble à une médaille de bronze olympique, que l’on porte suspendue à une chaîne autour du cou. Il est impossible d’ignorer le phénomène. De grandes affiches placardées sur les immeubles font la publicité des derniers modèles. Des camionnettes équipées de haut-parleurs, qui annoncent ailleurs les matchs de boxe ou font la réclame d’un candidat local, diffusent ici des informations sur les nouveaux médaillons. Tout le long de l’artère principale, les étalages des échoppes regorgent de ces médaillons dans leur boîte en plastique, vendus entre 46 et 115 euros.

La mode du jatukam est une véritable aubaine pour Nakhon Si Thammarat et les temples bouddhistes qui bénissent les médailles. Les ventes et l’afflux de visiteurs ont rapporté plus de 231 millions d’euros. (Au niveau national, le commerce des amulettes représente environ 900 millions d’euros). La fièvre du jatukam rapporte tellement d’argent que le Trésor public examine la possibilité de créer une taxe sur les médailles afin de compenser la baisse de ses recettes fiscales liées au ralentissement économique du pays. « Le marché des talismans brasse des sommes faramineuses », explique Sanit Rangnoi, directeur général du Trésor.

Le commerce de ces amulettes a commencé en 1987 (certaines valent actuellement plus de 20 000 euros). Pendant longtemps, seule une poignée de médailles étaient vendues chaque année. La fièvre n’a commencé que l’année dernière. Bon nombre de passionnés du jatukam l’associent à un personnage contemporain, le commissaire Phantarak Rajadej, chef de la police locale, décédé en septembre dernier à l’âge de 103 ans. On lui attribuait des pouvoirs magiques et il a joué un rôle essentiel dans la construction du site sacré appelé City Pillar, où s’effectue l’essentiel des ventes de médailles. En février dernier, sa cérémonie de crémation a attiré des dizaines de milliers de personnes, certaines venues dans l’espoir d’obtenir un des talismans distribués à la foule en deuil.

Il existe une multitude de théories pour expliquer l’incroyable popularité du jatukam. On ne compte plus les témoignages de personnes disant avoir survécu à un accident de moto ou guéri miraculeusement grâce au pouvoir magique du talisman. Certains affirment que ce phénomène est symptomatique de la « crise que traverse le bouddhisme thaï », pour reprendre les termes du quotidien The Nation. Certains moines seraient prêts à oublier les préceptes de leur religion afin de retirer de juteux profits de la vente d’amulettes, qui dépassent de loin le commerce des babioles traditionnellement vendues dans les temples. D’autres disent que les Thaïlandais sont inquiets en raison de la situation politique troublée et du vieillissement de leur monarque bien-aimé, le roi Bhumibol Adulyadej (il devrait fêter ses 80 ans en décembre prochain), et se raccrochent de manière superstitieuse à des objets censés leur porter chance, ou du moins les protéger du malheur. Et puis, il y a l’enthousiasme de cette jeune femme, à City Pillar, qui essaie d’expliquer, avec ses rudiments d’anglais, à un farang (étranger d’origine occidentale) pourquoi elle est si heureuse d’être présente à la consécration d’une nouvelle amulette jatukam : « Elle vous donne tout ce que vous voulez. »

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