Klong Toey, nom aux sonorités exotiques, évocation d’une destination perdue de l’Asie du Sud-Est, dernier îlot d’authenticité face à la marée de la bouillonnante, de la moderne Bangkok et ses centres commerciaux. Klong Toey est bien tout cela.
Mais nulles plages paradisiaques de sable blanc, nul miracle d’un typique havre de paix encore préservé. Simplement le plus grand quartier pauvre de la capitale du royaume.
De l’autre côté du klong Toey
C’est au sud de Wattana, le quartier résidentiel chic où se côtoie expatriés de tous horizon, bars à vins branchés, condominiums luxueux et night-clubs destinés à la jeunesse dorée de la ville que Klong Toey se dresse inexorablement.
Mais ce n’est pas seulement le contraste du bâti qui marque la frontière de ces deux mondes, mais aussi l’âpre odeur, l’odeur qui prend à la gorge, l’odeur de Khlong (« canal » en thaï) qui se dégage du Klong Toey, affluent du Chao Phraya, par cette chaude après-midi d’avril.
Tout juste passé les fastes architecturaux de la prestigieuse « Bangkok University », siège de l’enseignement des futures créatifs et business man de la « Cité des Anges », c’est une toute autre réalité qui se donne en spectacle, celle de Klong Toey.
Maisons de bois et de tôles s’accumulent sous l’autoroute aérienne qui fait face au port de Bangkok. Il y en a de toutes sortes, grandes, petites, à étages, ou à terrasse. Du linge multicolore sèche sur des étendages de bambou, le son d’une télévision retenti dans le tumulte des voitures alentour, pas de doute, le quartier est bien habité.
A côté des eaux stagnantes et des déchets plastiques en suspension, une femme fait sa vaisselle du jour, lave son garçon en bas âge. Elle jette ensuite les eaux usées dans le canal, une scène d’une rare banalité à Klong Toey.
Une vie sur les rails
Un peu plus en retrait du canal, là où l’odeur du khlong se fait moins présente, c’est une autre surprise de Klong Toey qui s’offre à nous. Une succession de petites échoppes de fabrication de meuble en bois. Récupérant le précieux matériau des palettes de marchandise du port attenant, les artisans aux gestes habiles, produisent à un rythme quasi industriels commodes, tables bases, ou petits placards. Le mobilier est bon marché, adapté aux revenus du quartier.
Les étals, à la fois atelier et habitation ne font guère plus de 6 mètres de long par 3 de large et exploitent le peu d’espace disponible avec d’un côté un voie rapide au trafic intense, de l’autre une voie ferré.
Plusieurs fois par jour, un fabuleux balai de déménagement, ré-emménagement s’opère à chaque passage de convoi, les trains sont rares mais la voie fonctionne quand même.
Mais les artisans ne sont pas les seuls à vivre sur les rails, un peu plus loin ce sont de simples habitations qui donnent directement sur les voies.
Et en ce dimanche, quelques groupes d’enfants colonisent cet espace de jeu encore libre, déjà précédé par une multitude de déchets qui s’accumule et se décompose à quelques mètres d’eux.
Un enchevêtrement anarchique de ruelles
Mais le vrai cœur de Klong Toey ne se trouve réellement que dans l’enchevêtrement de ruelles étroites et ombragées qui se succèdent au gré d’un urbanisme anarchique, laissé à l’appréciation des arrivants successifs.
Chaque virage est une nouvelle découverte d’habitation à l’architecture inventive et hétéroclite, où bois, tôle, brique, béton cohabite.
Petits commerces, personnes âgées épluchant ses légumes, jeunes jouant aux cartes ou réparant une moto, Klong Toey offre malgré tout le spectacle d’une vie communautaire riche et vivace, bien loin de l’image du quartier ghetto trop souvent véhiculé.
En journée, les habitants sont accueillants et même quelques peu surpris de voir un « Farang » (« étranger » en thaï) se balader dans ce faubourg.
Ce caractère pittoresque voisine pourtant avec la modernité qui petit à petit améliore le quotidien des habitants : cyber-café donnant aux jeunes une fenêtre sur l’extérieur et pourquoi pas un meilleur métier, ou encore une « salle de flipper » pour les passe-temps.
Au-delà du cliché Klong Toey ghetto, Klong Toey dangereux, le quartier pauvre est avant tout un espace à part, l’image d’un Bangkok d’il y a 30 ans, abandonné du miracle économique.
La nuit les taxis refusent pour la plupart de se rendre dans ce district, mais en pleine journée, il offre un tout autre visage bien loin des statistiques de la criminalité et de la drogue qui entachent l’image de Klong Toey, l’oublié.