Quinze mois après la tenue des premières élections au Myanmar depuis 20 ans, l’opinion nationale et internationale fait toujours preuve d’optimisme et de prudence, à l’égard des perspectives de changements dans ce pays de plus de 55 millions d’habitants qui tente d’oublier 50 ans de dictature militaire.
La plupart des réactions aux réformes introduites par le président Thein Sein depuis son investiture le 11 mars 2011 reflètent l’espoir de voir la Birmanie (ou Myanmar) rompre avec un régime autoritaire et répressif associé à des violations des droits de l’homme qui lui valent d’être la cible de sanctions économiques. De nombreux pays, y compris les pays de l’Asean dont la Thaïlande ont d’ailleurs appelé à une levée inconditionnelle des sanctions, pour encourager la poursuite des changements démocratiques.
Au total, 6 656 prisonniers, dont 569 femmes, ont retrouvé leur liberté au Myanmar grâce à l’amnistie décrétée par le président birman U Thein Sein, à l’occasion du 64e anniversaire de l’indépendance du pays.
Selon ce décret promulgué le 2 janvier, la peine capitale à laquelle avaient été condamnés 33 prisonniers, dont deux femmes, a été commuée en réclusion à perpétuité. La durée des peines d’emprisonnement a également été réduite pour 38 931 autres détenus en prison, selon le quotidien The New Light of Myanmar.
Personne ne pouvait prévoir cette embellie. Les élections ont été parmi les pires dans ce pays, mais les changements ont été spectaculaires. Je suis d’un optimisme prudent: les généraux sont toujours là et ils peuvent à tout moment décider de faire machine arrière.
estime Larry Jagan, journaliste à Bangkok et spécialiste de la Birmanie
C’est la troisième fois qu’une amnistie est accordée aux prisonniers de ce pays d’Asie du Sud-Est depuis que le nouveau gouvernement est entré en fonction le 30 mars 2011. En mai et en octobre 2011, respectivement 14 758 et 6 359 prisonniers avaient bénéficié de la grâce présidentielle. Plus de 200 prisonniers politiques étaient également concernés par l’amnistie d’octobre dernier.
Un environnement économique plus favorable
Sur le plan économique, le chemin à parcourir reste très important, mais les perspectives son encourageantes. Le ministre du Commerce Birman U Soe Thane a déclaré au Forum économique mondial de Davos, en Suisse, que le processus de réforme est en cours et que la Birmanie cherche à créer un environnement favorable aux investissements pour certains de ses voisins, comme la Thaïlande, le Bangladesh, l’Inde et le Laos, en plus de la Chine, des Etats-Unis et de l’Union européenne.
La Thaïlande est depuis longtemps un partenaire commercial privilégié de la Birmanie, a qui elle achète la plus grande partie de ses ressources énergétiques sous forme de gaz. Le royaume est aussi le deuxième investisseur étranger au Myanmar, après la Chine.
Lors d’un discours inaugural devant le parlement le 30 mars, M. Thein a indiqué qu’il était nécessaire de lutter contre la pauvreté – un problème éludé par le précédent gouvernement – de mettre fin à la corruption, aux conflits entre les diverses minorités ethniques et de travailler à la réconciliation politique. Une augmentation des retraites des fonctionnaires et une aide financière aux paysans a aussi été mise en place.
Sur le plan des droits de l’homme, l’assouplissement de la censure imposée aux médias est notable et le responsable de l’autorité de censure a appelé à la levée de la censure dans un avenir proche. On note aussi l’établissement d’une commission des droits de l’homme afin de « promouvoir et garantir les droits fondamentaux des citoyens ».
Le printemps birman
Tomas Ojea Quintana, Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme au Myanmar, a dit que le pays se trouvait à un « tournant décisif » de son histoire.
« Il existe en effet de réelles opportunités de changements positifs et importants pour améliorer la situation des droits de l’homme et approfondir la transition du pays vers la démocratie. »
M. Quintana a reconnu que le gouvernement avait pris des mesures pour améliorer son bilan en matière de droits de l’homme, mais il a indiqué qu’il restait encore beaucoup à faire pour garantir les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.
L’ONU a salué le voyage de Mme Clinton à Nay Pyi Taw et Rangoon du 30 novembre au 2 décembre comme un « voyage historique », car il marque la première visite au Myanmar d’un secrétaire d’Etat américain depuis plus de 50 ans. Kurt Campbell, secrétaire d’État adjoint américain chargé de l’Asie orientale et des pays du Pacifique, a qualifié le dialogue entre Aung San Suu Kyi et le gouvernement de « très important », ajoutant qu’ « indéniablement des changements spectaculaires étaient en cours ».
Si les organisations humanitaires indiquent avoir un meilleur accès à la plupart des régions du pays en comparaison avec la période qui a suivi le Cyclone Nargis en 2008, elles n’ont toujours pas accès aux régions touchées par les troubles ethniques, selon un diplomate occidental et selon le directeur d’une agence des Nations Unies présents à Rangoon.
Des progrès auraient été réalisés en ce qui concerne un point du conflit : l’opposition au recrutement forcé d’enfants soldats.
Le bureau de l’Organisation internationale du travail (OIT) à Yangon a indiqué avoir reçu 355 plaintes concernant des enfants soldats entre le début de l’année 2010 et la fin du mois de juin 2011 ; 77 enfants ont été démobilisés, tandis que les enquêtes se poursuivent dans les 242 cas restants. Le nombre de plaintes est en nette augmentation depuis 2009, où 78 plaintes avaient été reçues (62 enfants démobilisés) et 2008, où 29 plaintes avaient été reçues (23 enfants démobilisés).
Thein Sein peut-il maintenir cette cadence et poursuivre les réformes ?
M. Sein Win a indiqué que la situation était toujours « totalement imprévisible à ce stade de transition délicat ».
Beaucoup va dépendre « des qualités de dirigeant, de la sagesse et de la tolérance face aux opinions divergentes » de M. Thein Sein, a-t-il ajouté, avant d’émettre une mise en garde :
« on pourrait assister à nouveau à un revirement, sous la forme d’un coup d’état militaire, pour contrer une opposition constituant un défi inopportun pour le gouvernement ».
« Changer de direction politique dans n’importe quel pays, mais plus particulièrement dans un pays qui est resté sous régime autoritaire pendant de longues années, est une très lourde tâche », a dit M. Horsey.
M. Tonkin a reconnu que la transition vers la démocratie allait être « périlleuse », ce qui renforce la nécessité de résoudre « les sérieux problèmes internes liés aux ressortissants non birmans qui revendiquent un certain degré d’autonomie ».
Selon M. Sein Win, les obstacles les plus importants sont
« le manque de confiance de l’opinion publique envers le gouvernement – les habitudes ont la vie dure – les dynamiques de pouvoir au sein du gouvernement et le manque de ressources ».
Selon d’autres personnes, la cadence des réformes n’est pas suffisamment rapide.
Mais il y a peu d’experts, a dit M. Horsey.
« Le risque le plus important aujourd’hui est lié à la capacité : mettre en place de nombreuses réformes d’une manière coordonnée nécessite de fortes capacités administratives et des conseils techniques avisés, ce dont le pays manque ».
L’administration, qui est un élément clé de la mise en œuvre des réformes, représente un autre obstacle, a dit Renaud Egreteau, enseignant-chercheur à l’université de Hong-Kong. « La structure de l’État et de l’administration … est plutôt mal en point [et] et manque d’autonomie et d’expertise ».