En apparence rien n’a changé à Bangkok : l’opposition remporte les élections, l’armée promet que cette fois il n’y aura pas de coup d’Etat … et la Commision électorale examine la possibilité de dissoudre le parti qui a gagné les élections.

Pourtant tout porte à croire que malgré cette impression familière de déjà-vu, le paysage politique de la Thaïlande a été radicalement transformé comme jamais auparavant.

Razzia sur la capitale

Alors qu’aux précédentes élections Bangkok avait voté majoritairement pour les candidats pro-gouvernementaux soutenus par les militaires, l’opposition a cette fois remporté tous les sièges de Bangkok, pas moins, dont 37 sur 38 pour le parti Move Forward qui veut « démilitariser la Thaïlande ».

Le quarteron de généraux en retraite qui gouverne la Thaïlande depuis le coup d’Etat de 2014 n’a pas vu le coup venir : K.O debout comme après un uppercut surgi de nulle part.

Même les conservateurs les plus endurcis estiment que cette fois une énième « annulation » a posteriori du scrutin risquerait d’avoir des conséquences imprévisibles.

Certes les militaires n’ont pas encore jeté l’éponge, loin s’en faut, mais leur silence assourdissant en dit long sur leur malaise. Ils ruminent silencieusement leur humiliation tout en cherchant un moyen de prendre une revanche qui semble assez compromise à court terme, tant le verdict du scrutin apparait sans appel.

Move Forward et le Pheu Thai, les partis de l’opposition démocratique ont remporté la majorité absolue, avec 64 % des 39 millions de suffrages exprimés : une victoire spectaculaire, après un score d’à peine 40 % aux élections de 2019.

En remportant 313 des 500 sièges disponibles l’opposition a également largement distancé les partis pro-militaires qui n’en ont remporté que 76.

Une opposition revigorée et radicalisée

Non seulement la surprise du 14 mai ressemble plus à une déculottée qu’à une défaite pour les militaires, mais en plus le pire s’est produit pour les généraux et leurs affidés de l’establishment royaliste.

Leurs tentatives de mater l’opposition thaïlandaise ont lamentablement échoué et ont provoqué l’effet inverse de celui recherché : une radicalisation au profit d’un nouveau mouvement qui entend sérieusement remettre les généraux à leur place.

Car le grand gagnant n’a pas été, pour une fois, le parti de Thaksin Shinawatra dont les partisans étaient arrivés en tête à chaque élection thaïlandaise depuis 2001.

C’est une force libérale plus récente, plus radicale, et plus intransigeante qui réclame de véritables réformes, qui vont bien au-delà des discours démagogiques sans envergure rabâchés par le Pheu Thai.

Move Forward redistribue les cartes

Car Move Forward, ressemble bien plus à l’ennemi juré des têtes galonnées qui dirigent en coulisse la Thaïlande depuis des décennies, que le parti Pheu Thai représenté par la fille de Thaksin Shinawatra.

Avec le Pheu Thai on restait dans un cadre claniste et politicien bien rodé : un programme populiste assez prévisible qui se résume pour l’essentiel à des distribution de cash (10 000 bahts par électeur convaincu) et qui ne constitue pas une menace sérieuse pour l’armée et l’élite royaliste.

Désormais le paradigme simpliste qui a servi de référence à la vie politique thaïlandaise depuis deux décennies (la Thaïlande rurale et pauvre acquise au clan Thaksin, contre l’élite riche anti-démocratique de Bangkok) a perdu beaucoup de sa pertinence.

Les lignes de fractures ont bougé au profit d’une jeunesse avide de changement qui considère la période passée sous la férule des militaires comme une décennie perdue.

Cette jeunesse ne veut plus des entendre parler ni d’un régime autoritaire militarisé, ni des programmes démagogiques sans lendemain du Pheu Thai : elle veut de véritables changements structurels pour s’attaquer aux prébendes des monopoles corrompus qui gangrènent la Thaïlande depuis des décennies.

Avec 15 millions de suffrages recueillis, la performance exceptionnelle de Move Forward prouve que l’apostrophe de Talleyrand à Napoléon est toujours d’actualité « on peut tout faire avec des baïonnettes sauf s’asseoir dessus ». Après neuf années de dictature, les militaires thaïlandais ne peuvent que constater qu’ils ont lamentablement échoué dans leur tentative de donner une quelconque légitimité à leurs abus de de droit.

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