Plus de trente ans après le départ des derniers GI du Sud-Est asiatique, les militaires du vieux régime communiste laotien continuent de traquer et d’abattre des hommes, des femmes et des enfants appartenant aux ultimes groupes de résistance hmongs. Leurs chefs ont été pour la plupart d’entre eux formés dans leur jeunesse par les services secrets américains.
Vous pensez que la guerre du Vietnam est terminée depuis plus de trente ans ? Pas pour tout le monde. Parce que certains d’entre eux ont servi comme auxiliaires de l’armée américaine et ont travaillé pour la CIA, les Hmongs sont pourchassés et persécutés par le gouvernement communiste du Laos.
Ce conflit sans fin a essaimé dans deux autres pays : dans la Thaïlande voisine tout d’abord, où des milliers de Hmongs ont fui mais où les autorités les expulsent contre leur gré ; aux États-Unis ensuite, où un groupe de Hmongs-Américains est formellement accusé de terrorisme par le ministère de la Justice pour avoir fomenté un complot en vue de renverser le pouvoir à Vientiane.
La Thaïlande est resté sourde aux pressions internationales jusqu’au bout. Comme elle l’avait annoncé, elle a procédé lundi 28 décembre à l’expulsion vers le Laos de 4 371 Hmongs. Certains vivent là depuis plus de trente ans, dans des camps dans le nord-est de la Thaïlande, où ils ont demandé l’asile politique par crainte de persécutions s’ils retournent au Laos. Le haut-commissaire de l’ONU pour les réfugiés, Antonio Guterres, a exprimé sa « profonde consternation ». Jeudi, il avait appelé le gouvernement thaïlandais à « renoncer à son plan de retour involontaire », rappelant qu’en vertu des conventions de Genève, la Thaïlande a
« l’obligation de s’assurer que le retour d’une personne reconnue comme réfugiée ou ayant besoin d’une protection internationale se fait sur une base strictement volontaire ».
Depuis plusieurs années MSF réclame que le HCR intervienne au camp de Huai Nam Khao et prenne en charge la question des rapatriements, c’est à dire de l’examen individuel des dossiers. Mais la Thaïlande considère par principe que le Hmongs sont des immigrants illégaux pour des raisons économiques. Le HCR n’a donc jamais eu le droit de pénétrer dans le camp, et malgré de nombreuses demandes officielles, cet organisme n’a pas été autorisé à évaluer les conditions matérielles des réfugiés, ni à examiner leur dossier de façon objective.
En février 2009 le journaliste Roger Warner Auteur de Shooting at the Moon: The Story of America’s Clandestine War in Laos (Un coup d’épée dans l’eau : l’histoire de la guerre clandestine des Etats-Unis au Laos) écrivait
Je me suis rendu à Nonk Khai, dans le nord de la Thaïlande, dans un centre de rétention où j’ai rencontré environ 150 réfugiés hmongs. Ils sont les derniers membres de deux mouvements de résistance restés fidèles à leurs mentors américains et ont vécu en cavale pendant plus de trente ans avant de fuir le Laos pour la Thaïlande. Ils m’ont exhibé leurs cicatrices et m’ont confié leur histoire. Tout concorde. Aujourd’hui, ils dorment entassés à même le sol d’une cellule sans fenêtre, qu’ils sont autorisés à quitter deux heures chaque jour. L’exiguïté mais aussi la terreur d’être torturés s’ils sont renvoyés au Laos leur font perdre en partie la raison.
En 2008, le ministre thaïlandais des affaires étrangères Noppadon Pattama avait déclaré que les gouvernements de la Thaïlande et du Laos avaient conclu un accord pour organiser le rapatriement de tous les Hmongs, soit environ 8000 personnes, réfugiés dans le camp de Huai Nam Khao d’ici la fin de 2008. Depuis la situation n’a cessé d’empirer, car cet accord est intervenu en dehors de toute intervention des organisations internationales qui devraient logiquement superviser une telle opération.
En mai 2009 MSF décidait de quitter le camp de réfugiés dans lequel elle intervenait en aide aux quelque 8 000 réfugiés laotiens Hmongs, depuis juillet 2005, pour dénoncer les conditions de rapatriement imposés par les militaires. A l’occasion de son départ, MSF avait fait la demande aux autorités thaïlandaises et laotiennes d’arrêter le processus de rapatriement tant qu’une tierce partie indépendante ne sera pas présente pour s’assurer qu’il s’agit bien de retours volontaires, et que les Hmongs sont en sécurité quand ils arrivent au Laos.
« Nous ne pouvons plus travailler dans un camp où l’armée emprisonne arbitrairement des réfugiés hmongs influents afin de faire pression sur les autres réfugiés pour qu’ils acceptent de retourner « volontairement » au Laos et où elle oblige nos patients à passer par des postes de contrôle militaires pour accéder à notre dispensaire »,
avait alors expliqué Gilles Isard, chef de mission en Thaïlande.
Olivier Languepin