Politologues et sociologues diraient quelque chose dans le goût : « les quatre derniers mois de turbulences politiques attestent de faiblesses intrinsèques qui se cristallisent en dysfonctionnements patents de la structure socio-culturelle thaïlandaise ».

Mais nous sommes des gens simples et nous nous bornerons à hasarder que, décidément, « quelque chose ne tourne pas rond au royaume du Siam ».

Prenons l’exemple de Thawil Pliensri. Ce haut-fonctionnaire a été très injustement retiré en 2011 de ses fonctions de secrétaire-général du Conseil national de sécurité, un organisme clé dans la stratégie sécuritaire du royaume, par le gouvernement de Yingluck Shinawatra, et, comme le dit la formule consacrée, « transféré à un poste inactif ».

Il a été forcé de quitter ses fonctions pour faire place à un proche du gouvernement, qui lui-même avait dû quitter son propre poste…pour laisser place à un autre ténor encore plus proche du gouvernement. Thawil a intenté un recours judiciaire, qu’il vient de remporter le 7 mars après une longue bataille.

Entretemps, il avait fait plusieurs interventions attaquant le gouvernement sur la scène du People’s Democratic Reforme Committee, le mouvement anti-gouvernemental qui réclame la démission de la première ministre Yingluck Shinawatra depuis le début novembre.

Et donc Thawil doit reprendre dans les prochains jours ses fonctions à la tête du Conseil national de sécurité, organisme étatique vital, pour travailler avec un gouvernement qu’il a vilipendé pendant des mois. Certains ministres ont indiqué qu’il allait être « difficile » de travailler de concert avec Thawil – remarque qui relève du simple bon sens.

Que voit-on ici de part et d’autre? Opportunisme, absence de sens de l’intérêt de l’Etat, confusion entre intérêts supérieurs du pays et intérêts personnels des cliques. Certes, vous me direz, quand on regarde du côté des autorités françaises, il n’y a pas de quoi se vanter non plus. Cela ne nous empêche pas toutefois de réfléchir à l’évolution de la société thaïlandaise.

Le caractère national thaï

Une enquête menée dans les années 1980 par la socio-psychologue Suntaree Komi a cherché à identifier ce qui forme le « caractère national thaï ». L’enquête a permis d’identifier neuf valeurs-clés. Celle à laquelle les Thaïlandais interrogés accordaient le plus de valeur étaient « l’orientation de l’ego » et la moins importante concernait « l’orientation vers la réalisation de tâches ».

La faculté rapide d’adaptation à une situation donnée est incontestablement une qualité d’une partie significative des Thaïs. C’est une illustration un peu facile, mais il suffit de conduire quelque temps en Thaïlande pour toucher cette réalité du doigt.

Cela est une qualité, car sens de l’adaptation veut aussi dire absence de dogmatisme et de rigidité. Transposée en Thaïlande, la querelle du voile islamique dans les lieux publics (dont le port est interdit par la loi française, laïcité oblige) aurait entrainé des effets catastrophiques. Imagine-t-on les millions de femmes musulmanes du sud se voir interdire de porter le voile ? Les autorités thaïlandaises n’y ont jamais songé et tout se passe très bien.

Absence de dogmatisme ou absence de principes ?

Mais absence de dogmatisme peut aussi signifier absence de principes. Or, une nation devient solide et durable à partir du moment où elle est fondée sur un certain nombre de règles et de valeurs intangibles, nées d’un contexte historique et culturel, mais maintenues par une sorte de sens éthique au niveau du pays dans son ensemble. Ni plus ni moins qu’un contrat social. En termes plus imagés, il ne suffit pas d’un réseau de routes et de millions de voiture pour aboutir à une circulation efficace et harmonieuse ; il faut aussi un code de la route respecté par tous.

Or, qu’y a-t-il d’intangible en Thaïlande ? L’opportunisme s’est infiltré dans le système de justice jusqu’à le gangréner, hormis pour certaines cours, comme les tribunaux administratifs qui font généralement un travail exemplaire.

Comment expliquer autrement que ce turbulent héritier de l’empire Red Bull, lequel a fauché un policier avec sa Ferrari près du Soi Thonglor il y a plus d’un an un soir d’énervement, ait jusqu’à présent échappé au système judiciaire. Convoqué à de multiples reprises devant les tribunaux, il a été excusé par sa famille : en voyages d’affaires à Singapour, et victime d’un mauvais rhume de surcroît.

La neutralité de la bureaucratie n’existe guère non plus. Lors des élections du 2 février, nombre des bureaux de vote n’ont pas pu ouvrir car les fonctionnaires locaux n’ont pas effectué le travail pour lequel ils touchent pourtant un salaire mensuel. Tout simplement, car ils étaient favorables au mouvement anti-gouvernemental.

Seul le roi actuel, un homme d’une grande intelligence  et issu d’une double culture, européenne et thaïlandaise, a donné un sens de direction à une population naturellement individualiste. Il a su injecter un peu d’idéalisme dans le réalisme appréciable des Thaïlandais. Mais le roi n’est pas éternel. La longévité de son règne et la propagande massive orchestrée par les services du Palais sont eux-mêmes un facteur de fragilisation du pays.

Sur quoi donc refonder la nation thaïlandaise ? Des universitaires thaïlandais, comme par exemple, Kritaya Archavanitkul de l’université Mahidol, effectuent des recherches sur ce sujet depuis une dizaine d’années.

La réponse ne peut se construire que petit à petit, en prenant pour base le principe simple, mais intangible que, comme le dit un personnage du film « 12 years a slave », « ce qui est juste et vrai est juste et vrai pour tous ».

Arnaud Dubus

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