« Tu veux ou tu veux pas ? ». Le chanteur Zanini aurait eu beau jeu de narguer l’actuel chef de l’armée de terre thaïlandaise, le général Prayuth Chan-ocha pour sa propension à dire tout et son contraire quant à la possibilité pour les militaires de prendre le pouvoir.
Alors qu’il y a encore trois mois, le bouillant Prayuth tançait les journalistes qui le harcelaient de questions à ce sujet, il s’est fait plus précis depuis la fin février, disant d’abord que « la porte n’était ni ouverte ni fermée » (pour un coup d’Etat), puis, au début de mars, qu’une « solution spéciale » pouvait être adoptée selon les circonstances pour régler la crise politique qui paralyse le royaume depuis début novembre.
Les observateurs de la politique thaïlandaise ont depuis longtemps appris qu’il ne faut guère écouter ce que disent les généraux, mais plutôt regarder ce qu’ils font. D’une certaine manière, nier à l’avance que l’on prépare un coup d’Etat participe de l’effet de surprise, comme l’avaient bien compris les généraux Suchinda Kraprayoon en 1991 et Sonthi Boonyaratklin en 2006.
Force est toutefois de constater que les prédictions les plus alarmistes faites lors de la nomination à la tête de l’armée en octobre 2010 de Prayuth, affectueusement surnommé « le gros Tou » par la presse thaïlandaise, ont été plutôt contredites par la suite des événements.
Ce général pète-sec, donnant souvent l’impression de couver une colère rentrée contre son entourage, et que l’on disait « féroce opposant aux Chemises rouges (les partisans du gouvernement actuel de Yingluck Shinawatra et de son frère, l’ancien Premier ministre Thaksin) », s’est révélé à l’usage être plutôt moins porté à intervenir en politique que son prédecesseur Anupong Paochinda.
Poussé par le gouvernement d’Abhisit Vejjajiva, le général Anupong avait finalement envoyé ses troupes pour écraser la rébellion rouge en mai 2010. Dans les mois précédents, il était apparu régulièrement aux côtés d’Abhisit et du vice-Premier ministre Suthep Thaugsuban lors d’interventions officielles à la télévision. Rien de tel avec Prayuth, lequel s’est gardé d’afficher trop publiquement sa sympathie pour les forces conservatrices manifestant dans les rues sous la direction de Suthep. Certes, Prayuth a bien dit en novembre qu’il était « chagriné » de voir que la police tirait des grenades lacrymogènes contre les manifestants anti-gouvernementaux. Mais ces larmes n’ont pas débouché sur une contre-attaque.
Pourquoi cette réserve ? L’armée semble en effet suffisamment unie derrière Prayuth, lequel a placé ses camarades de la classe 12 de l’académie militaire préparatoire et du Queen’s Guard de Prachinburi aux postes clés de l’appareil militaire, pour qu’un coup d’Etat soit assuré d’un succès opérationnel. Peut-être, un signal envoyé par une instance supérieure a-t-il joué un rôle dans cette attitude prudente ? Le général a aussi été échaudé par la série de jugements prononcés par les tribunaux contre les militaires dans le cadre de la répression meurtrière d’avril-mai 2010.
Il est sans doute trop pour dire que les militaires thaïlandais sont, une fois pour toutes, rentrés dans leurs casernes. Mais il n’en reste pas moins que dans une situation semblable – quatre mois de manifestations ininterrompues au cœur de la capitale, occupation des ministères, violences fréquentes et meurtrières – les « hommes en uniformes » seraient déjà intervenus sous une forme ou sous une autre dans le passé.
Arnaud Dubus