Cela n’arrive qu’une fois tous les dix ans, mais cette fois la présidence tournante de l’ASEAN n’aurait guère pu plus mal tomber. C’est un véritable sommet itinérant, qu’a organisé cette année la Thailande, une caravane ambulante de délégués harcelés par des manifestants que rien ne semble pouvoir arrêter. Après Bangkok, Chiang Mai, Hua Hin, voici Pattaya, mais rien n’y fait, le 14e sommet de l’ASEAN est poursuivi par la malédiction de la guerre des chemises.
Cette fois ci elles sont rouges, et les partisans de Thaksin sont en passe de réussir leur pari, à savoir ridiculiser le gouvernement thaïlandais pour de bon devant ses partenaires asiatiques.
L’embarras de la Thaïlande pour accueillir le 14e sommet de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), fait vraiment peine à voir. Le précédent gouvernement thaïlandais de Somchai avait dans un premier temps décidé de le déplacer à Chiang Mai, où il s’était lui même réfugié pour se mettre à l’abri des manifestations la PAD (chemises jaunes), puis avait fini par annoncer son ajournement pur et simple.
Aujourd’hui le gouvernement Abhisit ne semble pas plus à l’aise sur la question: la couleur des chemises à changé (les pro Thaksin de l’UDD sont vêtus de chemises rouges, mais utilisent des méthodes assez peu différentes des chemises jaune du PAD), et ils menacent à leur tour de perturber le sommet de l’ASEAN à Pattaya, si le parlement n’est pas dissout et de nouvelles élections convoquées en Thaïlande.
Le gouvernement thaïlandais avait déjà eu du mal à faire accepter par ses partenaires que, contrairement à la coutume, ce sommet se déroule en deux temps, avec d’abord fin février les réunions des 10 membres de l’Asean, puis fin avril les réunions entre les membres de l’Asean et les partenaires associés (Chine, Japon, Corée du Sud, Inde, Australie, Nouvelle-Zélande). Devant tant de tergiversations, au sein de l’ASEAN, au moins trois membres – le Vietnam, le Laos et le Cambodge – ont suggéré que la Thailande renonce à la présidence de l’ASEAN cette année . Ils avaient peut être raison au vu dont les manifestants ont rapidement débordé les forces de sécurité.
Environ 200 d’entre eux ont facilement réussi à franchir le cordon de sécurité composé de militaires, puis un deuxième cordon composé de policiers anti-émeutes armés de bâtons, qui ont opposé une faible résistance, ont constaté les journalistes de l’AFP.
La crise politique n’est plus limité au sein de la sphère domestique, elle a aussi de profondes répercussions sur les affaires étrangères de la Thaïlande. Au sein de l’ASEAN, au moins trois membres ont clairement questionné les capacités de la Thailande à assumer la présidence de l’ASEAN cette année en raison de l’escalade de la violence politique . La Thaïlande est donc mis sur un pied d’égalité avec la Birmanie, dont le gouvernement avait été forcé de renoncer à sa présidence en 2005 en raison de sa crise de légitimité.
La Thaïlande, qui pouvait prétendre être un modèle de stabilité et de démocratie pour la région, se retrouve maintenant en position de faiblesse, alors que la crise économique demande au contraire un gouvernement fort.
Tout le monde est aujourd’hui d’accord pour penser que la sortie de crise sera plus rapide en Asie, mais qu’elle dépend en grande partie de l’action concertée des gouvernements. La crise financière mondiale donne donc cette année à la réunion des 10 pays de l’ASEAN une importance exceptionnelle, alors que d’habitude il s’agit plus d’une série de discussions assez formelles et sans grande conséquences. Mais en l’occurrence le sommet de Pattaya réunit justement des pays associés à l’ASEAN comme la Chine et le Japon, qui sont aussi appelés à être les principaux bailleurs de fonds de la Thaïlande dans son programme de relance des investissements et de sortie de crise.
Les deux géants asiatiques fourniront, à eux seuls, les deux tiers d’un fonds de devises de 120 millions de dollars pour venir en aide aux pays asiatiques en difficulté, et dont la création sera discutée lors du sommet. Plutôt embarrassant pour la Thaïlande, si les discussions se tiennent dans une ambiance perturbée par des manifestations hostiles. Le Japon est le plus gros partenaire commercial de l’Asie du sud-est et de la Thailande, et le premier donateur dans la région.
Tokyo a ainsi promis 15 milliards de dollars d’aide aux pays pauvres d’Asie, et prêtera en outre 100 milliards de dollars au Fonds monétaire international (FMI) pour aider les économies les plus vulnérables à surmonter la crise.
Pékin, de son côté, a promis 40 milliards de dollars au FMI et plaide pour un plus grand poids de l’Asie au sein des institutions multilatérales. Le Japon contribue à stabiliser les devises et à injecter des capitaux dans les banques en difficulté et la Chine essaie de donner un coup de fouet à sa demande intérieure.