Les juges thaïlandais du Tribunal Constitutionnel vont se prononcer sur le destin du Thai Rak Thai (TRT), du Democrat Party (DC) et de trois autres partis politiques. Mais le roi les a mis en garde contre une décision qui manquerait de clarté.
Que de changements en une année ! Le 8 mai 2006, la Cour constitutionnelle thaïlandaise prenait une décision historique en annulant une élection remportée haut la main par Thaksin Shinawatra du parti Thai Rak Thai. A l’époque, certains avaient applaudi les juges pour leur initiative et leur indépendance vis-à-vis de la « dictature parlementaire » de Thaksin. Aujourd’hui les hommes de loi sont accusés de prendre trop d’importance. Ce jugement controversé était intervenu à peine deux semaines après le discours sans précédent qu’avait prononcé le roi Bhumibol Adulyadej devant les plus hauts magistrats du pays. Face à la perspective d’un Parlement composé d’une seule formation politique, les trois plus grands partis d’opposition ayant boycotté l’élection, le roi avait demandé à l’autorité judiciaire de remédier à cette situation.
A l’époque, pour les opposants de Thaksin (du moins ceux qui étaient contre un coup d’Etat), seul le pouvoir judiciaire était capable de faire contrepoids au Premier ministre déjà maître du pouvoir exécutif et législatif. Les juges n’ont pas attendu pour appliquer les instructions du roi.
Le pouvoir de l’armée a beau avoir augmenté avec le putsch du 19 septembre dernier qui a renversé le Premier ministre élu Thaksin Shinawatra, le discours du roi en avril 2006 continue à marquer les esprits. Prasong Soonsiri, à la tête de la commission qui a élaboré la Constitution, la CDC, a déclaré aux journalistes que les membres de la commission voulaient donner davantage de pouvoir à la justice afin que le roi ne soit pas inquiet. La CDC se contente de suivre les recommandations du roi données dans son discours d’avril 2006, a-t-il souligné.
Mais, l’idée d’une justice toute-puissante soulève des protestations. C’est un débat très sensible puisque le roi s’est exprimé sans détours sur le sujet. « Vous avez fait le serment de travailler en mon nom, et c’est très important pour moi, avait lancé le roi aux magistrats dans ce fameux discours du 9 avril. Si vous faites votre devoir correctement, je garderai la tête haute. Si vous faites des erreurs, j’aurais à en pâtir. J’espère que vous donnerez le meilleur de vous-mêmes. »
Evidemment, ces paroles peuvent êtres interprétés de multiples façons. Pour les partisans de la démocratie, la place des juges est au tribunal, mais pour d’autres membres de l’élite au pouvoir, les hommes de loi sont plus aptes à gouverner le pays que les hommes politiques jugés nuisibles.
Wicha Mahakhun, un ancien juge qui travaille actuellement sur la nouvelle Constitution, est tout à fait représentatif de ce courant de pensée : « Les gens, surtout les universitaires qui veulent que la Constitution garantisse une véritable démocratie, sont naïfs. Nous savons tous que les élections ne sont pas une bonne chose. … Le 9 avril, Sa Majesté a déclaré que si les tribunaux ne soutenaient pas les bonnes personnes, la société ne pourrait pas survivre. Sa Majesté a déclaré qu’il était impératif que les juges assurent la justice… Sa Majesté le roi fait confiance aux juges ; et vous voulez les condamner ? »
L’insinuation est évidente : ceux qui s’opposent à une autorité judiciaire plus puissante font preuve de déloyauté à l’égard du monarque – ce qui est un péché mortel.
« Les rédacteurs de la Constitution vont prétendre qu’ils suivent la politique du roi, mais le problème est bien plus compliqué, souligne M. Giles Ungpakorn, chercheur en sciences politiques à l’Université de Chulalongkorn. En outre, la monarchie n’est qu’une institution parmi d’autres. Il y a 65 millions d’autres personnes en Thaïlande qui ont leur mot à dire sur la gestion du pays. »
Vorajet Pakirat, professeur de droit à l’université de Thammasat, ajoute : « Je pense que le roi voulait que les juges s’acquittent d’une seule mission liée aux circonstances exceptionnelles d’avril 2006. Mais personne ne peut dire que le roi voulait accroître le pouvoir des juges dans cette constitution. »
Bien sûr il est encore possible de réviser la nouvelle Constitution et d’ailleurs l’influence des magistrats devrait être revue à la baisse.
Même si c’est le cas, cela ne signifie pas pour autant que certains juges ont abandonné l’idée de jouer un rôle politique. Le 30 mai prochain, le tribunal dit de Constitution créé par l’armée va statuer sur la dissolution des deux grands partis politiques thaïlandais : le Thai Rak Thai de Thaksin et le Parti démocrate. Ce tribunal représente à lui seul la collusion du pouvoir judiciaire et militaire. Cette instance, formée par l’armée immédiatement après le putsch, comprend cinq juges de la Cour suprême. Elle est présidée par le président de la Cour suprême et sont vice-président est le président de la Cour suprême administrative. Pour de nombreux experts en droit, cette dissolution est un non-sens. En effet, de quel droit une instance créée par ceux qui ont renversé le régime de Thaksin peut-elle dissoudre des partis politiques au motif qu’ils auraient cherché à renverser la démocratie ? N’est-il pas absurde de les accuser d’avoir violé une Constitution dont les membres de la junte se sont débarrassés dès leur arrivée au pouvoir ?
Daniel Ten Kate Asia Sentinel