Thaksin Shinawatra a beau être en exil, son parti (à nouveau !) dissout par la Cour Constitutionnelle, et condamné à deux ans de prison par la justice de son pays, banni du Royaume Uni où il avait trouvé refuge, il continue a exercer une influence décisive sur la Thaïlande. Même ses adversaires les plus acharnés doivent le reconnaitre: depuis son départ forcé en septembre 2006, la Thaïlande est devenue ingouvernable.

D’un point de vue strictement juridique, la carrière de Thaksin Shinawatra est en principe terminée. Il a été interdit de politique pour cinq ans par un Tribunal statuant en mai dernier, puis condamné à deux ans de prison, et est considéré depuis comme « en fuite » par la justice de son pays.

Thaksin Shinawatra, un ex premier ministre en cavale

Mais politiquement, c’est loin d’être le cas, et ses velléités de retraite anticipée n’ont pas duré très longtemps. Thaksin ne s’est pas résigné à son exil politique, c’est maintenant certain: en témoigne ses récents discours par téléphone au cours de rassemblements populaires. Rarement un homme politique absent et banni de son pays aura été aussi bavard et influent. Thaksin continue à faire la une de l’actualité en Thaïlande, et à déterminer les lignes de clivages entre les deux camps qui s’affrontent en ce moment.

Les deux camps qui viennent de se livrer à une lutte acharnée (le PAD et l’ex PPP) ont pour objectif, l’un de favoriser le retour de Thaksin sur la scène politique nationale, l’autre de l’en empêcher définitivement. De ce point de vue, la PAD dispose d’un allié de poids avec les juges de la Cour Constitutionnelle, qui ont dissout une première fois son parti (le TRT), puis une deuxième fois le parti de ses épigones (le PPP, machine à recycler le TRT). Thaksin, renversé par un coup d’Etat en 2006, est en fait une des principales causes de l’instabilité qui règne actuellement dans le royaume.

Le malheur c’est que l’épisode Thaksin arrive précisément à un moment où la Thaïlande s’était doté d’une constitution véritablement démocratique (1997) et semblait pouvoir évoluer vers une véritable démocratie parlementaire. Thaksin est en fait le seul premier ministre à avoir effectué un mandat entièrement (de 2001 à 2006) et avoir été réélu à la fin de ce mandat. Le fait qu’il ait incontestablement abusé de sa position dominante pour prendre des libertés avec les droits de l’homme, la liberté d’expression et les lois sur les conflits d’intérêts, et très dommageable pour la jeune démocratie thaïlandaise. Certains Thaïlandais sont maintenant convaincus que le système démocratique lui-même n’est pas adapté à leur pays.

Mais la plupart des Thaïlandais sont en fait partagés au sujet du bilan de Thaksin. D’un côté, ils s’opposent à son côté politicien corrompu, qui a dévoyé le système politique thaïlandais pour son propre intérêt. D’un autre côté, ils admirent l’héritage Thaksin qui a amélioré les conditions de vie, et a donné du pouvoir d’achat aux pauvres ruraux et urbains. Par populisme certes, mais en accomplissant ce que la classe politique thaïlandaise n’avait jamais réussi jusque-là.

Mais qu’adviendra t’il du nouveau parti pro Thaksin, le Phua Thai (Pour les Thais) s’il remportait les prochaines élections ? De quel moyen les adversaires de Thaksin pourraient ils se prévaloir pour une nouvelle fois écarter ses partisans du pouvoir ? Certes la cause des récentes dissolutions à répétitions ne sont pas en principe politiques mais juridiques, mais les juges peuvent-ils indéfinivement reformer l’expression du suffrage universel.

La solution au problème Thaksin ne peut pas être uniquement juridique: le risque de nouvelles violences est trop important pour ne pas être pris au sérieux. Surtout avec la perspective d’un monarque affaibli dans son rôle de garant de l’unité de la Nation.

4 comments
  1. Mais qu’adviendra t’il du nouveau parti pro Thaksin, le Phua Thai (Pour les Thais) s’il remportait les prochaines élections ?
    S’il n’est pas utile de se demander pourquoi l’armée n’aime pas la démocratie, il est important de se rappeler que le Roi Bhumibol, fort apprécié par 3 générations de thaïlandais, va un jour laisser la place à un fils qui ne pourra pas avoir la même affection de la population. L’impérieux besoin de renforcer sa position -on ne renonce pas au pouvoir et surtout à une colossale fortune sans se battre – a beaucoup joué dans les événements qui se sont conclus par la décision des juges et l’inéligibilité de Thaksin et de son parti.
    Les prochaines élections verront très probablement la victoire réitérée du nouveau PPP, le Phua Thai. Le PAD et ses alliés seront-ils soutenus aussi puissamment par le nouveau monarque ? Sans doute pas, car l’enjeu ne sera plus le même. Alors peut-être enfin la stabilité politique pour la Thaïlande ?

  2. Thaksin est certainement l’homme qui aura fait le plus de mal à la Thaïlande depuis des années. Ses comportements corrompus sont bien entendu mentionnés partout, mais on oublie de dire comment il a su, par des lois de plus en plus xénophobes, et par un populisme basé sur les plus mauvaises attitudes de certains thaïs, changer l’ambiance de tolérance, et d’ouverture qui caractérisaient le peuple thaï.
    Lorsque je l’ai vu être élu, son masque de businessman arriviste m’a immédiatement révulsé, et je mesure mes propos. Hélas, les mois suivants ont vu mes pressentiments s’avérer exacts : emplois de plus en plus restreints aux « thai national only », refus de visas de travail, difficultés de plus en plus grandes à monter une affaire en Thaïlande, droits d’immigration s’élevant en flèche, lois racistes, etc.

    Sur certains forums, en particulier de professeurs étrangers, on l’a rapidement vu être comparé à un Allemand des années trente de sinistre mémoire, tout au moins en ce qui concerne les attitudes xénophobes que son gouvernement a manifesté très vite. Cet homme est une plaie pour la Thailande. Il serait bon que les journalistes occidentaux reviennent un peu plus sur ce désastre moral, car l’Allemand dont je parlais, avait lui aussi suaugmenter le pouvoir d’achat des masses, organiser des travaux d’intérêt public, créér des crèches, mais on sait à quel prix… Qui osera nous dire par exemple que Thaksin a monté de véritables « camps de rééducation » dans les campagnes reculées où étaient envoyés les pauvres de Bangkok qui trainaient dans les rues ? Qu’au moment où il bloquait tous les emplois possibles aux étrangers il faisait simultanément voter une loi autorisant la prostitution des étrangers en Thailande, permettant ainsi à la mafia russe, entre autre, de s’installer très officiellement en Thailande ? j’aimerais vraiment un jour qu’une enquête journalistique complète soit réalisée sur les actes de Thaksin pendant son premier mandat, en particulier. Par thailande-fr peut-être ?

  3. Le problème c’est que cette dissolution intervient avec l’application d’un article assez controversé de la constitution de 2007 (adoptée par les militaires responsables du coup d’état contre Thaksin) et qui permet de dissoudre un parti si UN SEUL de ses membres est condamné pour fraude. Si un article aussi sévère existait en France, plus aucun des actuels parti politiques n’existerait encore…..

  4. « Mais qu’adviendra t’il du nouveau parti pro Thaksin, le Phua Thai (Pour les Thais) s’il remportait les prochaines élections ? »
    S’ils sont capables de s’abstenir de frauder, il ne pourra rien leur arriver … Mais en sont-ils capables ? Si c’était le cas, ce serait très intéressant car çà marquerait justement le déclin du « système Thaksin » !

Comments are closed.