La Thaïlande fait de nouveau la « Une » des medias internationaux depuis quelques jours, le gouvernement et l’armée ayant décidé de mettre un terme à l’occupation du quartier commercial et d’affaires de Rajprasong en plein centre de Bangkok.
Au-delà des scènes de violence que vous pouvez voir sur vos écrans, ou des reportages que vous pouvez lire ici ou là, je vous propose de prendre un peu de recul et d’essayer de comprendre pourquoi et comment « le pays du sourire » en est arrivé là.
Pour ce faire, il me semble que la meilleure méthode consiste à s’intéresser aux forces en présence.
Le Roi et le système monarchique sont affaiblis
Rien de ce qu’il se passe actuellement en Thaïlande ne saurait être interprété sans mentionner la succession à venir du Roi Bhumibol Adulyadej, et à la bataille pour le pouvoir qui s’ensuivra.
Agé de 82 ans, le Roi est hospitalisé depuis septembre 2009 pour des troubles pulmonaires. Les rares images disponibles nous le montrent sur un fauteuil roulant et très affaibli. En octobre dernier, une fausse rumeur de son décès avait provoqué une chute de 8% de la Bourse de Bangkok en un seul jour.
Lorsqu’elle surviendra, la disparition du Roi Bhumibol constituera à n’en pas douter un traumatisme considérable et provoquera dans la population thaïe une véritable catharsis. A plusieurs reprises au cours de son règne, et bien que privé de rôle politique direct, le Roi est parvenu par son autorité morale à régler de nombreux conflits similaires à celui auquel on assiste aujourd’hui. En mai 1992, alors que les rues de Bangkok étaient de même en proie aux violences, une simple apparition télévisée avait mis un terme immédiat aux échauffourées.
Cette fois, le Roi est resté muet, certes pour des raisons de santé, mais les vrais motifs de ce silence assourdissant sont peut-être à chercher ailleurs. Il n’est pas sûr en effet qu’une intervention royale serait aujourd’hui en mesure de mettre un terme au conflit qui oppose le gouvernement du Premier Ministre Abhisit Vejjajiva aux chemises rouges.
Malgré ses faiblesses, ses erreurs et ses annonces sans lendemain, le Premier Ministre Abhisit Vejjajiva garde la main
Agé de 45 ans, Abhisit Vejjajiva est l’un des plus jeunes et plus brillants Premiers Ministres que la Thaïlande n’ait jamais connu. Diplômé du célèbre Eton College et surtout du St-John College d’Oxford en philosophie, science politique et économie, son bagage universitaire est sans commune mesure avec la plupart de ses prédécesseurs.
Il est faux, de prétendre comme le font aujourd’hui les dirigeants des chemises que son accession au pouvoir fut illégale. Celle-ci s’est déroulée en décembre 2008 dans le cadre du Parlement, alors que la Thaïlande était en proie aux manifestations des chemises jaunes qui s’opposaient au gouvernement pro-Thaksin de l’époque.
Taxé à juste titre de faiblesse, voire d’inertie, depuis le début des manifestations le 12 mars dernier, Abhisit a commis des erreurs d’appréciation – il a lui-même reconnu avoir sous-estimé le mouvement des chemises rouges – et trop souvent annoncé des mesures sans lendemain, entamant sa crédibilité et celle de son gouvernement. Il avait pourtant repris la main le 3 mai dernier en proposant un plan de « réconciliation nationale » incluant des élections anticipées le 14 novembre prochain.
Rappelons que c’était là la demande principale des manifestants. Dans un premier temps, le principal dirigeant des chemises rouges (Veera Musikhapong, lequel a depuis démissionné en raison de désaccords avec les autres dirigeants plus radicaux du mouvement) avait d’ailleurs accepté cette offre, laissant entrevoir une issue pacifique à la crise. Las! Dans les jours qui ont suivi, d’autres dirigeants des chemises rouges, peut-être guidés en sous-main par Thaksin Shinawatra, se sont rétractés et ont refusé sous divers prétextes plus ou moins fallacieux de mettre un terme à l’occupation du quartier commercial et d’affaires de Rajprasong.
Abhisit n’avait dès lors d’autre choix que de faire appel à l’armée, ce à quoi il s’était refusé jusque là, en dépit des critiques jusque dans ses rangs pour sa gestion trop attentiste de la crise.
Malgré son intervention tardive et violente, l’armée ne cherche pas à prendre le pouvoir
Depuis l’abolition de la monarchie absolue en 1932, l’ex-Royaume de Siam a connu 18 coups d’état et 17 constitutions. C’est dire si l’armée joue un rôle prépondérant dans ce pays.
Cette fois, sous l’influence d’Anupong Paochinda, un commandant en chef étonnamment modéré et peu enclin à faire usage de la force, l’armée s’est montrée réticente à intervenir contre les chemises rouges. Deux mois durant, Anupong n’a cessé de répéter que la solution à la crise actuelle devait être politique, suggérant à plusieurs reprises au Premier Ministre Abhisit de dissoudre l’Assemblée et d’organiser des élections anticipées.
Dans un contexte qu’on peut qualifier de guérilla urbaine, face à des manifestants très déterminés et parfois armés, l’armée joue un rôle de répression quasi à son corps défendant et pour lequel elle est manifestement mal préparée.
Malgré les violences, un accord politique reste possible
On le voit, la Thaïlande est aujourd’hui face à une situation particulièrement complexe, aux prises qu’elle est avec une de ces crises graves qui la frappent à intervalles réguliers: 1973, 1976, 1992, 2006…
Même si elles ont lieu en novembre ou à une date ultérieure, et à supposer que les forces en présence et les chemises de telle ou telle couleur respectent le résultat, les élections générales sont nécessaires mais ne seront pas suffisantes pour trouver une solution durable aux profondes divisions qui se sont faites jour entre l’élite traditionnelle et les masses populaires, entre les classes privilégiées ou moyennes de Bangkok et les paysans pauvres du Nord et du Nord-Est, entre ceux qui veulent préserver l’avenir de l’institution monarchique et ceux, encore très minoritaires, qui prônent un changement aux contours encore mal définis.
Les images véhiculées par les medias internationaux sont certes spectaculaires, montant de véritables scènes de guérilla urbaine dans certains quartiers et avenues parmi les plus célèbres de Bangkok. Et pourtant, malgré les troubles violents entre l’armée et tout au plus quelques milliers de manifestants déterminés, il faut garder à l’esprit qu’un accord politique était à portée de main il y a moins de deux semaines.
Si le pouvoir semble aujourd’hui se jouer dans la rue, il faut croire et espérer qu’un accord politique est encore possible dans les jours ou semaines à venir.
Paul Dumont
Président de l’Agence Francom Asia
Résident à Bangkok depuis 1990
2 comments
Ah ben oui tiens, il aurait encore fallu les laisser 12 mois de plus au milieu de Bkk, démissionner, les nommer au parlement, au gouvernement, à l’armée, etc. , d’autres idées?
La manifestation qui partait (en partie!) de « bons sentiments » avait complètement pourri et il était clair que ce n’était devenu qu’une masse manipulée (y compris leurs pseudo-leaders de pacotille) par Khun&Khunying qui se baladent sur les Champs Elysees à faire du shopping chez Louis Vuitton. Pauvres pauvres qui sont à la solde d’un multi-milliardaire…
Donc au final, cette fin était logique, vu comment les idéaux de justice, démocratie, non-violence etc etc. ont été reniés. Une seule chose ne l’a pas été : l’obsession du pouvoir, et on se demande bien d’où ça peut venir. Abhisit s’est largement laissé marcher sur les pieds avant d’enfin réagir.
D’accord pour le Roi, et en même temps « Papa » ne sera pas toujours là lorsque les enfants font des conneries, ceux ci doivent aussi grandir. Tout ça n’était peut être qu’une ‘préparation’ à ce qui se passera inévitablement…
Abhisit est un imbecile qui n’aurait pas du charger contre les rouges, les rouges c’est les pauvres a qui on demande de ce taire et qui sont traite comme de la merde par les classes de Bangkok. Abhisit n’as peut etre pas perdue la face grace a l’intervention qui la fais hier, mais je suis sur que sa popularite et descendue. Je ne suis ni pour les rouges ni pour les jaunes, et je crois que le roi a bien fait de pas defendre aucun partit, c’est le role d’un roi de ne prendre aucun partit politique. Je suis bien place pour le savoir je suis francais-thai et j’ai fais mes etude a khon kaen dans le nord-est.
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