Le général Anupong pense qu’il faudrait organiser des élections pour sortir de la crise en Thailande, et lors de la précédente crise dirigée par les « chemises jaunes », il avait « conseillé » au Premier ministre de l’époque (Somchai Wongsawat) de démissioner. La couleur des chemises que portent les manifestants change en Thailande, mais en dernier ressort c’est le kaki qui semble toujours dominer la vie politique.

Depuis que la crise politique a débuté en 2006 en Thaïlande, plusieurs groupes ont tenté de s’opposer à la domination de Thaksin et de ses alliés sur la vie politique thaïlandaise. En vain.

Les grands gagnants de cette période d’instabilité chronique sont les généraux thaïlandais, qui ont pleinement profité de ces divisions pour retrouver une influence politique sur le déclin. Au début des années 90, le budget de l’armée thaïlandaise avoisinait les 20% du PIB, mais il était retombé à 6% sous Thaksin : il est maintenant plus proche de 10% depuis le coup de 2006.

Aujourd'hui Anupong se retrouve dans une situation un peu similaire à celle de 2008 : comment sortir d'une crise qui est avant tout politique sans compromettre la réputation de l'armée ?

Jusqu’où l’armée acceptera t-elle de défendre le gouvernement contre une insurrection populaire ? En juillet 2006, le général Prem, conseiller du roi,  avait fixé les limites et déclaré,

“les soldats appartiennent à Sa Majesté le Roi, et non pas à un gouvernement. Le gouvernement guide et supervise les soldats, mais leurs véritables propriétaires sont le pays et le Roi.”

Mais à l’époque, les fauteurs de troubles étaient les “chemises jaunes” de la PAD, un groupe proche de l’armée, et opposé à Thaksin. Au cours de la longue confrontation entre la PAD et le gouvernement Samak puis Somchai, le général Anupong avait maintes fois insisté sur le fait que les militaires doivent rester “indépendants” et être “du côté du peuple”, ce qui signifie essentiellement un refus d’agir en tant que bras armé du gouvernement. Une telle position pourrait aujourd’hui facilement se retourner contre lui. Saut à se contredire complètement, Anupong ne pourrait pas s’opposer par la force à la poursuite des manifestations qui paralysent les centre de Bangkok.

Paradoxalement c’est en ne faisant rien que le général Anupong a réussi à marquer les points décisifs qui ont jalonné son ascension. Son inaction délibérée pendant la crise provoquée par la PAD et l’occupation des aéroports de Bangkok lui a permis de se retrouver en position de force. Il n’a pas eu besoin de déployer ses tanks dans les rues pour se faire entendre. Anupong a abattu ses cartes une par une, jaugeant minutieusement la situation avant de prendre position, et sans lui, il est très probable qu’ Abhisit Vejjajiva ne serait jamais devenu Premier ministre. Son action, ou plutôt son inaction, a permis de rétablir la vie politique thaïlandaise avec Abhisit à la tête d’un gouvernement dirigé par le Parti démocrate.

Mais aujourd’hui Anupong se retrouve dans une situation un peu similaire à celle de 2008 : comment sortir d’une crise qui est avant tout politique sans compromettre la réputation de l’armée et la sienne ? Les généraux thaïlandais veulent se préserver, et intervenir le moins possible dans un conflit qui concerne la société dans son ensemble, et dans lequel les militaires n’ont pas de solution durable à proposer. Anupong a très bien compris que le conflit qui déchire la Thaïlande en ce moment ne se règlera pas à coup de matraque, ou pire encore à coup de fusil, dans les rues.

Anupong a eu l’intelligence ne pas tomber dans le piège tendu par la PAD, qui souhaitait un nouveau coup d’Etat militaire pour se débarrasser rapidement des alliés de Thaksin et de leur gouvernement. Il a laissé le Parti Démocrate affronter une situation inextricable et un pays qui n’a jamais été aussi profondement divisé. Aujourd’hui Anupong a choisi son camp : celui de l’ombre. Il préfère résoudre la crise par des moyens politiques, ayant bien compris qu’une répétition du coup de 2006 serait vouée à l’échec.

Olivier Languepin

1 comment
  1. Très bonne analyse. Espérons que tout cela est vrai. Et quoi qu’on n’en dise, l’armée c’est tout d’abord la Reine! l’absence du Roi est très inquiétante.

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