Une fois de plus, la Thailande donne l’image d’une société divisée, incapable de résoudre ses conflits autrement qu’en faisant appel aux manifestations de rue qui réclament inlassablement la démission du gouvernement en place, et l’organisation de nouvelles élections.

Le scénario de sortie de crise en Thaïlande semble répondre a un rituel immuable: une minorité agissante rend le pays ingouvernable, l’armée conseille au gouvernement de démissionner – a défaut de prendre elle même le pouvoir, – et pour sortir de l’impasse on organise des élections. Si les élections ne donnent pas le résultat attendu, on recommence. La politique thaïlandaise a parfois des aspects un peu déconcertants pour ceux qui l’observent de l’extérieur.

Les  « chemises rouges », avaient remporté une victoire tonitruante en avril 2009, en réussissant à faire annuler le sommet de l’ASEAN qui devait se tenir à Pattaya. Mais une victoire de courte durée : peu de temps après, l’armée était intervenu dans les rues de Bangkok pour réduire les manifestants au silence.

Hier les émeutiers étaient jaunes, aujourd'hui ils sont rouges. De quelle couleur seront-ils demain ? La couleur change mais les blocages du système restent les mêmes. Photo : Camillla Davidsson pour Thailande-fr.com

Hier, les manifestants ont à nouveau réclamé la démission du Premier ministre Abhisit Vejjajiva, la dissolution du Parlement et l’organisation de nouvelles élections. Personne ne croit sérieusement à une telle possibilité, mais le mouvement des chemises rouges a maintenant suffisamment duré dans le temps,  pour démontrer qu’ils ne sont pas seulement une bande de paysans analphabètes financés en sous main par Thaksin.

Une partie de la population thaïlandaise estime aujourd’hui, à tort ou à raison,  avoir été injustement privée du pouvoir et de la parole, et dénonce l’actuel gouvernement d’Abhisit comme une émanation illégitime de potentats et de généraux.  La question est maintenant pas tant de savoir qui a tort ou raison dans cette querelle, mais de trouver une solution à une situation déstabilisante pour l’ensemble des thaïlandais, quelque soit la couleur de leur chemise.

Le système politique thaïlandais doit maintenant s’adapter à la situation et montrer qu’il est capable de résoudre par des moyens pacifiques, un conflit politique.

La victoire par les urnes, dont Thaksin a usé et abusé pour asseoir un pouvoir quasi dictatorial lors de son mandat, n’est pas un critère absolu et unique de légitimité en Thaïlande. D’autres institutions, notamment l’armée et la monarchie, peuvent se prévaloir de cette légitimité, sans avoir à demander l’approbation des électeurs. Le débat sur cette dernière question est encadré de façon très stricte, en raison des lois qui protègent la monarchie.

« Nous vivons une période où l’espace disponible pour le débat politique se rétrécit. Beaucoup d’opinions ne sont pas exprimées, et ce n’est pas sain pour la société thaïlandaise »

note Thitinan Pongsudhirak, professeur de sciences politiques à l’université de Chulalongkorn.

Le consensus est brisé, parce que depuis la fin des années 80, la croissance économique s’est concentré à Bangkok, et les disparités avec la province se sont exacerbées pendant les années 90. Ensuite Thaksin est arrivé et a exploité ces disparités : il a réveillé toute une portion de la société. Le coup d’Etat de 2006 a tenté de restaurer l’ordre précédent mais n’a pas réussi. La Thaïlande est une société qui reste centrée sur un ordre monarchique, mais qui cherche sa voie vers la démocratie parlementaire.

Aujourd’hui la situation semble bloquée car le système d’alternance démocratique ne fonctionne pas encore de façon suffisamment claire en Thailande pour ne pas être sujet à contestation. Ce qui a manqué au gouvernement Thaksin, c’est un contre pouvoir capable de contenir son appétit de puissance. La légitimité qu’il avait gagné par les urnes, il l’a progressivement érodée dans l’exercice autoritaire du pouvoir, et en se moquant des protestations des élites traditionnelles que sont l’armée et la monarchie.

«Le pouvoir corrompt, mais le pouvoir absolu corrompt absolument» disait Lord Emerich Acton. Ce qui veut dire que la corruption n’est pas liée à un parti en particulier, mais au pouvoir lui-même et à son exercice. Lorsqu’il y a concentration du pouvoir pendant trop longtemps dans les mêmes mains, la corruption et le népotisme s’installe. Pour éviter ce chemin qui semble tracé depuis des siècles, il n’y a guère d’autre solution que  de partager le pouvoir, entre un pouvoir exécutif,  législatif et judiciaire dont l’indépendance doit être garantie.

La mal nommée  (et peu commémorée) révolution du 24 juin 1932, n’a jamais atteint cet objectif, car elle n’a jamais été une véritable révolution , mais plutot un coup d’état décidé par une faction d’officiers minoritaire.  La « révolution » de 1932 aboutira d’ailleurs au régime néo fasciste de Phibun, plutôt qu’à une démocratie parlementaire . « Les révolutions font perdre beaucoup de temps » disait Henry de Montherlant.  Celle de 1932 en fait partie, car elle a crée une monarchie constitutionnelle, mais sans se donner les moyens d’une véritable démocratie.

Olivier Languepin (rediffusion d’un article publié le 29 juin 2009)