Tous les jours, c’est le même rituel : on allume de l’encens et on dépose quelques offrandes dans la maison des esprits.
Ainsi, les Chao Thi, gardiens du sol sur lequel votre habitation est bâtie, chasseront les mauvais esprits (les Phi). Ces petites habitations sur pilotis sont présentes à proximité de tous les édifices en Thaïlande.
D’après la croyance animiste, lorsque vous construisez sur un terrain, vous chassez les esprits alors propriétaires des lieux. Pour ne pas les importuner, il faut leur construire une maison.
Une maison pour les hommes, une maison pour les esprits
Selon ces croyances, les esprits seraient présents partout autour de nous. Ainsi les arbres les plus robustes habiteraient des spectres pouvant porter chance, en échange de quelques offrandes.
Il est donc courant d’observer de longues pièces de tissu attachées autour de troncs, en signe de respect.
Ces immenses arbres ne sont jamais coupés, de peur de priver les esprits de leur habitat.
La peur des mauvais esprits conduit même à toutes sortes de superstitions : si vous restez debout dans l’entrée de votre maison, alors un fantôme rentrera chez vous ; de même si vous chantez en mangeant.
Les superstitions sont monnaies courantes en Thaïlande, et elles concernent souvent des esprits malveillants qui pourraient venir troubler l’existence humaine.
À ces superstitions qui rythment la vie des Thaïs, s’ajoutent l’astrologie et la voyance. Aidé d’un voyant, on choisit avec précautions la date de son mariage. Autant éviter les dates qui portent malheur.
Pareil pour la construction de sa maison : il serait un peu dommage que le logement soit inhabitable à cause du mauvais sort.
Des croyances mélangées au Bouddhisme
Ce culte des esprits provient de l’animisme, religion majoritaire chez les premières tribus thaïes, à l’époque où le Bouddhisme n’existait pas.
Lorsque le Bouddhisme a commencé à s’implanter dans la région, les deux religions se sont mêlées, jusqu’à avoir deux fonctions distinctes.
Ainsi le Bouddhisme traite surtout de la réincarnation de l’énergie vitale, lorsque l’animisme se charge de régler les problèmes du présent.
Aujourd’hui pour la majeure partie des Thaïlandais ces deux croyances forment un tout. Ils vénèrent aussi bien les enseignements prônés par le Bouddhisme que les croyances animistes.
Une activité lucrative
Comme tous les phénomènes populaires, les arts divinatoires constituent un commerce lucratif en Thaïlande.
Ici, on peut vous prédire l’avenir à même le pavé pour 200 bahts, ou bien dans un temple, pour une somme bien plus élevée.
Populaires des quartiers les plus pauvres jusque chez les grands dirigeants politiques, les Mor Dou (« voyants » en Thaï) bénéficient d’une immense renommée au pays du sourire.
Selon une étude menée en décembre 2008 par le Kasikorn Research Center, 2,55 milliards de bahts, soit plus de 64 millions d’euros, ont été générés par le marché de la voyance, uniquement dans Bangkok.
À ces arts divinatoires se mêlent l’astrologie et la numérologie, qui jouent un rôle important dans le calendrier.
Ces croyances sont importantes pour de nombreux dirigeant(e)s thaï(e)s, à tel point que Thaksin Shinawatra, ancien premier ministre, se réfère au calendrier astral lorsqu’il parle de la situation politique en Thaïlande.
Et si vous souhaitez vous reconvertir, pourquoi ne pas devenir voyant ? L’Association internationale de l’Astrologie de Thaïlande a ouvert une école dans les années 90, dans laquelle une quarantaine de professeur enseignent toutes sortes de techniques et de règles.
Après plusieurs mois d’apprentissage vous pouvez sortir de l’école avec un diplôme de voyant, reconnu uniquement par l’association.
Une amulette ou un tatouage à la place d’un casque
Autour du cou, sur la peau, accrochée à un rétroviseur, en forme de pénis (les palad khik) : les amulettes, quelles que soient leurs formes, sont omniprésentes chez les Thaïs.
Cette tradition datant d’environ 3000 ans proviendrait des Khmers.
Ils portaient alors des amulettes pour diverses raisons : la chance, la richesse, la fertilité ou repousser les mauvais esprits.
Les premiers tatouages protecteurs, appelés Sak Yant, ont été réalisés dans des temples Bouddhistes. En guise de protection, les moines se faisaient tatouer des textes religieux. Pour que le tatouage soit efficient, incantations et prières doivent accompagner la séance.
Là où ces croyances deviennent problématiques c’est lorsque, paradoxalement, elles mettent en péril la vie de certains.
En effet toutes les amulettes sont censées protéger du danger. Ainsi, lorsqu’on conduit un deux roues, porter une amulette ou un Sak Yant au lieu d’un casque est monnaie courante, rendant les routes en Thaïlande encore moins sûres.
Et ces paradoxes peuvent aller encore plus loin. En avril 2012, Phuket s’était vidée de ses habitants après qu’une prophétie annonce l’engloutissement de l’île.
Les explications des scientifiques, assurant qu’il était strictement impossible que l’île s’enfonce sous les eaux, n’avaient pas apaisés de nombreux habitants, qui avaient préféré fuir.
En réalité cette prophétie était un canular destiné à faire baisser les prix de certains terrains, preuve que ces croyances ont un immense impact sur la population.
Fuckghost : ras le bol des fantômes
Mais depuis quelques années, une tendance grandit peu à peu au cœur de la jeunesse thaïe principalement.
Bien qu’en nombre minoritaire, ils dénoncent ces traditions qu’ils jugent archaïques. Pour eux ces rituels et autres croyances trouvent des explications fantastiques plutôt que scientifiques, et mettent en danger la vie de certains.
De ce mouvement contestataire est née la page Facebook FuckGhost.
Suivie par plus de 450 000 fans, cette page recense des histoires de fantômes et d’esprits, non sans quelques piques destinées à des figures religieuses.
Un des administrateurs de la page a récemment défrayé la chronique à cause d’une photo le montrant en train d’écraser des idoles censées protéger les automobilistes.
Ces idoles avaient été placées sur une portion de route connue pour ses nombreux accidents mortels.
Les administrateurs de la page sont ainsi régulièrement menacés et attaqués par des internautes convaincus que ce mouvement va attirer le mauvais œil sur eux.
Il semblerait bien que la Thaïlande n’en n’ait pas fini avec ses fantômes.