Pourquoi la Thaïlande a t-elle si précipitamment enterré la constitution progressiste de 1997, mise en place après la disparition du précédent régime militaire, et alors que le royaume semblait avoir construit une démocratie relativement stable ? Depuis lors, les manifestations de rue plus ou moins violentes en sont venues à dominer la vie à Bangkok. La dernière en date menace de paralyser pour plusieurs jours le centre ville de Bangkok, pour obtenir la démission du gouvernement.
En Septembre 2006, après des mois de manifestations de rue, l’armée a lancé un coup d’Etat contre un gouvernement élu, une première en 15 ans, provoquant un retour de l’armée comme une force durable et puissante dans la politique, alors qu’elle était sur le déclin. Au printemps de l’an dernier, des manifestants armés de cocktails Molotov et de fusils ont affronté la police dans toute la capitale, mettant le feu aux bâtiments et causant au moins six morts et des centaines de blessés. A peu près au même moment dans la station balnéaire de Pattaya, à l’est de Bangkok, des manifestants ont attaqué la voiture du Premier ministre, puis forcé le passage dans un sommet régional majeur, obligeant les dirigeants qui y participaient à fuir.
Que se passe t-il en Thaïlande, où on a l’habitude de cultiver l’art du compromis et des arrangements en coulisse ?
Du point de vue des élites de Bangkok, le problème a commencé au début de 2001, avec l’élection comme premier ministre de Thaksin Shinawatra, un homme d’affaire et un homme politique différent de tous ceux qui avaient exercé le pouvoir auparavant en Thaïlande. Avec des promesses d’aides massives aux pauvres et une campagne de publicité sophistiquée le présentant comme un homme d’affaires milliardaire qui a su faire bouger les choses, le parti de M. Thaksin a remporté les élections avec l’une des plus importantes marges dans l’histoire du pays.
De fait, il a rempli une partie de ses promesses envers les pauvres ruraux, qui sont concentrés dans le nord et le nord-est, et constituent une majorité de la population, celle qui a voté massivement pour son parti, le Thai Rak Thai (les Thaïs aiment les Thaïs). Il a institué un programme de soins de santé bon marché et a supervisé un programme de distribution des micro-prêts à tous les villages, pour aider le début de petites entreprises.
Les ruraux ont peu bénéficié de l’essor économique de la Thaïlande
Ces politiques ont été une avancée importantes car les ruraux ont peu bénéficié de l’essor économique des années 1980 et 1990, qui ont transformé Bangkok d’ une ville de canaux et de marchés flottants en une capitale de tours de bureaux, de mega shopping center et de cafés internet. Ce n’est donc pas complètement un hasard si l’assaut final des chemises rouges se déroule précisément au coeur du quartier ou se trouvent les shopping Center les plus luxueux et les plus chers de Bangkok.
En 2007 le revenu des ménages à Bangkok était environ trois fois supérieur à celui des ménages des régions rurales du nord-est. Tandis que les classes moyennes urbaines ont bénéficié de la libéralisation du commerce et de la mondialisation, les ruraux défavorisés ont du encaisser le déclin du secteur agricole face à la concurrence de la Chine, et des géants de l’agro-industrie occidentale.
Thaksin a un discours démagogique et un certain charisme, il faut le reconnaitre, qui lui permet de communiquer efficacement avec les pauvres urbanisés et les agriculteurs, souvent issus des mêmes régions. Contrairement aux politiciens traditionnels thaïlandais, qui s’attendent à voir les gens se prosterner devant eux, Thaksin, en dépit de sa fortune, a réussi à se donner une image proche du peuple. En arrivant dans les villages dans le nord, sa région natale, il se fendait toujours d’un humble wai, avant d’écouter les plaintes les plus triviales. Résultat : en 2005, les électeurs ont donné à son parti une majorité encore plus grande qu’en 2001, lui et ses alliés contrôlant 374 des 500 sièges au parlement.
Le système Thaksin : un népotisme autocratique
Au cours de sa deuxième année au pouvoir, M. Thaksin avait plus que triplé les dépenses publiques sur les programmes de lutte contre la pauvreté, et le pourcentage de la population vivant dans la pauvreté a chuté de près de moitié. Mais sa politique a également eu un côté plus sombre. A bien des égards Thaksin ressemblait plus à un caudillo latino-américain qu’à un homme politique thaïlandais issu du sérail. Peu de temps après son élection en 2001, il a commencé à démanteler les institutions démocratiques du pays, ou à les utiliser pour défendre ses intérêts personnels.
Ses alliés ont acheté des participations dans bon nombre des plus grands groupes d’édition et stations de télévision. De nombreux journaux se sont soudain retrouvés servilement pro-Thaksin, et les rares journalistes désireux de poursuivre des enquêtes qui risquaient de le critiquer, se sont souvent trouvés en difficulté ou marginalisés. L’administration de M. Thaksin a distribué de nombreux postes importants à des proches, et certains de ses proches ont été nommés à des postes clefs dans les forces armées – son cousin est devenu commandant suprême des forces armées.
Thaksin a empiété sur le territoire des monarchistes et de l’armée
Face à une accusation d’avoir dissimulé ses avoirs illégalement, M. Thaksin a été acquitté de justesse par la Cour constitutionnelle, mais ensuite plusieurs juges ont affirmé que la pression politique intense avait fait pencher la décision. Avec son encouragement, un culte de la personnalité a été construit autour de Thaksin : panneaux d’affichage sur les routes et les bâtiments à travers le pays, en prenant un espace habituellement réservé pour des portraits du monarque bien-aimé, Bhumibol Adulyadej.
Thaksin a provoqué la colère parmi les élites traditionnelles de la Thaïlande – monarchistes et grands hommes d’affaires à cause de son style autocratique. D’autres ne supportaient pas ses méthodes de confrontation: Thaksin n’affrontait pas les problèmes de la façon traditionnelle thaïlandaise, par le biais d’accords secrets qui permettent à chacun de sauver la face.
En 2006, les classes supérieures de Bangkok ont lancé des manifestations de rue sous la bannière de l’Alliance populaire pour la démocratie. La PAD s’est elle-même auto proclamée démocratique, précisément parce qu’elle ne l’était pas. L’une de ses propositions était qu’un certain nombre de membres élus du Parlement doivent être remplacées par des responsables désignés. Vêtus de jaune, la couleur de la monarchie de la Thaïlande, les manifestants ont occupé le parlement et, plus tard, le principal aéroport de Bangkok. Sans surprise, l’agitation politique constante a nui à l’économie de la Thaïlande, déjà durement touchée par la crise financière mondiale.
Un développement économique inégalitaire, générateur de frustrations
Il est difficile de voir un retour à la stabilité dans un futur proche. Même une nouvelle élection comme le demande l’UDD, ne serait pas susceptible de calmer les choses. Elle provoquerait sans doute le retour de Thaksin ou de ses mandataires au pouvoir, ce qui provoquerait ses ennemis à tout recommencer. Si certaines des revendications de l’opposition sont légitimes, elle doit maintenant prendre ses distances avec son mentor, sous peine de rencontrer un blocage insurmontable.
Il faut maintenant intégrer le fait que les ruraux pauvres ne retourneront plus jamais à l’époque où ils ont simplement accepté la loi de Bangkok sans broncher. Les forces anti-Thaksin ne font rien pour aider à calmer la situation, accréditant l’opinion assez répandue qu’il existe une justice a plusieurs vitesses selon les rang social et les origines du prévenu. Ces dernières années, les tribunaux de la Thaïlande ont été mis sur l’offensive contre l’ancien premier ministre. Les tribunaux ont rendu des décisions qui ont aboutit à la saisie des biens de Thaksin, et surtout à l’annulation coup sur coup de scrutins gagnés par les partisans de l’ex Premier Ministre.
Économie mondialisée, la Thaïlande s’est rapidement développée au prix d’une plus grande inégalité entre ceux qui profitent du commerce et des investissements et ceux, dans la campagne, qui en sont tenu à l’écart. Les Thaïlandais sont également partagés par la religion: la violence dans le sud a tourné les musulmans contre les bouddhistes, générant des tensions entre les deux groupes dans d’autres parties du pays.
Pendant ce temps, la santé du roi est sur le déclin. A des moments critiques, Bhumibol a servi de médiateur entre les forces politiques opposées, il a aidé à mettre fin à des manifestations contre les militaires en 1973 et 1992 avant que trop de sang ne soit versé. De nombreux Thaïlandais l’adorent presque comme un dieu, mais ces derniers mois, usé par les fièvres fréquentes, il s’est rarement aventuré en public. Pourtant certains espèrent encore que le roi pourrait encore intervenir pour rétablir une situation pacifique dans le royaume.
Olivier Languepin
5 comments
Cet article est un condense de l’article de Joshua Kurlantzick paru dans le London Review of books http://www.lrb.co.uk/v32/n06/joshua-kurlantzick/red-v-yellow a propos du livre « Tearing Apart the Land: Islam and Legitimacy in Southern Thailand » (Un pays déchiré : Islam et légitimité dans la Thaïlande du Sud) de Duncan McCargo
Je vous invite à lire de Joshua Kurlantzick qui a une analyse identique
Il s’agit d’une traduction semi automatiques, donc a améliorer…
https://www.thailande-fr.com/th/politique/4505-le-rouge-et-le-jaune-les-cles-de-limpasse-thailandaise
Tres..tres bonne analyse ! Dommage quelle ne puisse paraitre en thai ou en anglais dans les journaux en Thailande …
Mr Abhisit n’a pas ete élu par le peuple.
Le peuple ne demande que des elections anticipées, que Mr Abhisit voudrait soi-disant accorder pour la fin de l’annee, ce que le peuple refuse car la confiance en la parole de Mr Abhisit est nul.
Mr Abhisit n’agit pas comme un leader democratique mais plutot comme un tyran.
Sa maniere d’agir avec les chemises rouges est revoltante, ces predecesseurs n’ont pas agit comme cela lorsque les chemises jaunes ont manifestes et bloques l’aéroport de Bangkok et des centaines de milliers de touristes innocents dans ce conflit, ils n’ont jamais ete punis pour cela mais bien sur c’est grace a eux que Mr Abhisit est au pouvoir.Les chemises rouges manifestent dans le calme et la bonne humeur et recoivent des dons de particulier Thailandais et egalement de l’exterieur du pays pour pouvoir continuer leurs action, mettre fin a la dictature de Mr Abhisit.
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