Chaque année l’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine (Irasec), basé à Bangkok, analyse les principaux événements, économiques, sociaux, environnementaux ou religieux survenus dans l’ensemble du sous-continent asiatique.

L’article consacré à la Thaïlande cette année est intitulé « L’Armée au pouvoir : ordre précaire et économie ralentie ». Il s’agit d’un texte d’une vingtaine de pages qui revient sur les principaux événements qui ont marqué l’année 2015, dont voici quelques extraits choisis.

Introduction :

Le gouvernement du général Prayut Chan-ocha, (Big Tu, comme l’appelle la presse populaire), est satisfait de son année 2015. C’est ce que rapporte le quotidien Deli Niw du 13 octobre 2015 reprenant la déclaration de Suwaphan Tanyuwanthana, ministre attaché au bureau du Premier ministre qui énumère, sans entrer dans le détail, les réussites : « Résolution du problème de la pêche illégale, lutte contre le trafic des êtres humains, sécheresse, économie, aide aux personnes défavorisées ».

La nostalgie d’un exécutif fort

La philosophie des généraux qui dirigent actuellement la Thaïlande consiste à vouloir protéger le peuple contre lui-même. Ils estiment que des élections totalement libres favorisent le maintien au pouvoir des mêmes politiciens populistes, situation dont ils tirent surtout des profits personnels.

Ce que la junte et ses partisans nomment une « dictature parlementaire » (phadetkan ratthasapha), et certaines formes de corruption seraient étroitement liées. Il convient donc de limiter le pouvoir des élus et de créer des organes politiques de contrôle extérieurs. Ce sont les partis liés à Thaksin Shinawatra, et Thaksin lui-même, qui sont d’abord visés, pour avoir clairement remporté toutes les élections depuis 2001.

C’est tout l’enjeu de la Constitution en préparation. Le général Prayut ajoute dans une de ses déclarations que cette nouvelle Constitution « devrait en outre aider à prévenir des situations telles que l’armée devrait à nouveau mener un coup d’État»

Une économie qui ira mieux demain

L’économie thaïlandaise se trouve aujourd’hui dans une situation difficile. En termes choisis, dans le même quotidien The Nation du 2 octobre 2015, certains ont parlé d’une contraction de l’économie ou d’une économie plate. Début octobre, un article du même quotidien surnommait la Thaïlande « le traînard des pays de l’Asean » pour ce qui était de la croissance du PIB.

Effectivement avec 2,5 % de croissance attendus pour 2015, seulement 2 % en 2016 et 2,4 % en 2017, le pays fait pâle figure par rapport à une région qui fera entre 6,3 et 6,5 % de croissance aux mêmes périodes. Fin 2014, l’endettement des ménages représentait l’équivalent de presque 86 % du PIB. Seule la Malaisie fait plus mal dans la région.

La dictature des esprits

Vu le type d’organisation de toutes les armées et même de ce que l’on peut appeler la « société militaire » en Thaïlande, il ne faudra pas s’étonner que les libertés soient actuellement sous contrôle. Les intellectuels et les journalistes se sentent surveillés et sont rappelés régulièrement à l’ordre. Même « Sia » (Sakda Sae Iao), un dessinateur de la page trois du Thai Rath, et dont les dessins tournaient parfois le Premier ministre en ridicule, a été convoqué par les autorités. Il lui a été demandé de ne plus déformer la vérité, pourtant un des ressorts évidents du dessin humoristique.

De la volonté de réconciliation à la recherche de la vérité

Pour ce qui est des questions politiques et sociales, le mot privilégié n’est plus réconciliation (kanprongdong) ni même réforme (kanpatirup), mais vérité (khwamching). Cette réconciliation dont il est question depuis des années sera loin d’être totale puisqu’elle ne concernera que les acteurs des événements politiques des années 2006, 2010 et suivantes pour lesquels le processus judiciaire est achevé ou en cours.

Ceux qui ont fui et échappé à leur procès et à leur jugement n’auront droit à aucune amnistie. Le premier concerné est Thaksin Shinawatra lui-même, contre lequel des mesures parfois symboliques et tout de même vexatoires ont été prises − comme la dégradation de son grade de commandant de la police − mais également des mesures légales puisque ses passeports thaïlandais (ordinaire, diplomatique) lui ont été retirés.

Extrait de  Jean Baffie,  » L’Armée au pouvoir : ordre précaire et économie ralentie », in Abigaël Pesses (dir.), L’Asie du Sud-Est 2016 : Bilan, enjeux et perspectives, Irasec-Les Indes savantes.

Communiqué de l’éditeur

Établissant une rétrospective des faits majeurs de l’année 2015, ce livre aide à mieux comprendre les grands enjeux et les perspectives de l’année 2016 dans une région de près de 600 millions d’habitants qui, plus que jamais, joue un rôle d’interface entre les grands pôles asiatiques et l’Occident.

Grâce au travail de terrain tout au long de l’année d’une vingtaine de chercheurs et d’experts, L’Asie du Sud-Est 2016 offre un décryptage d’une actualité asiatique complexe, dense et dynamique.

Outre une analyse claire et détaillée sur chacun des onze pays de la région, L’Asie du Sud-Est 2016 propose quatre dossiers et un débat sur des sujets d’actualité représentatifs des changements en cours. De nombreux outils pratiques sur l’Asie du Sud-Est sont également disponibles, au nombre desquels une chronologie par pays des événements des douze derniers mois ainsi qu’un répertoire des principaux partis politiques en Asie du Sud-Est.

Sommaire

Les dossiers de l’année
L’Asean peut-elle transformer l’Asie du Sud-Est en région intégrée ? (Bruno Jetin)
La Chine en Asie du Sud-Est : entre pré carré et rivalités géopolitiques grandissantes (Barthélémy Courmont, Frédéric Lasserre et Éric Mottet)
L’Inde et l’Asie du Sud-Est, une relation proche mais lointaine (Jean-Raphaël Chaponnière)
Les zones communes de développement : une solution en mer de Chine méridionale ? (Nathalie Fau)

Débat
Appropriations politiques des rôles féminins en Asie du Sud-Est (Sarah Anaïs Andrieu, Élodie Coffre et Abigaël Pesses)

La région
Birmanie (Bénédicte Brac de la Perrière)
Brunei (Marie-Sybille de Vienne)
Cambodge (Julie Blot et Anne Yvonne Guillou)
Indonésie (Jean-Marc de Grave)
Laos (Éric Mottet)
Malaisie (Elsa Lafaye de Micheaux)
Philippines (François-Xavier Bonnet)
Singapour (Éric Frécon)
Thaïlande (Jean Baffie)
Timor-Leste (Christine Cabasset)
Vietnam (Laurent Gédéon et François Guillemot)

Annexe
Répertoire des principaux partis politiques  en Asie du Sud-Est (François Vezier)

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