Lorsque l’accord de libre-échange entre la Chine et les 10 pays de l’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) est entré en vigueur cette année, (1,9 milliard de personnes) entrainant l’élimination des tarifs douaniers sur 90 % des produits, il a été salué publiquement comme l’aube d’une ère nouvelle, mais en privé avec inquiétude par bon nombre d’habitants des pays membres de l’Asean.
La Chine a révélé l’autre jour que ses réserves en devises avaient atteint environ 2400 milliards de dollars en 2009, soit un gain de 453 milliards de dollars sur l’année. Ces chiffres extravagants, et la probabilité que ces réserves en devises augmenteront d’un montant comparable cette année, sont maintenant devenus une réalité financière, économique et géopolitique incontournable. Ces réserves en devises sont utilisées pour effectuer des placements financiers (dont environ 800 milliards de dollars de bons du trésor américain) des achats en matières premières (pétrole, nourriture, minéraux), mais aussi pour acheter de l’influence politique avec de l’aide économique ou des prêts consentis à des conditions favorables.
Quand le Laos a gagné sa candidature pour accueillir le mois dernier les Jeux asiatiques du Sud-Est, la Chine a offert d’aider cette petite nation en construisant un stade flambant neuf à la périphérie de la capitale Vientiane. Mais pour le gouvernement laotien, cette générosité n’a pas été sans compensation. La Suzhou Industrial Park Overseas Investment Co a obtenu un bail de 50 ans sur 1.600 hectares de terres à la périphérie de la capitale en échange de la création du nouveau bâtiment. Mais une réaction défavorable de la population, alimentée par la nouvelle que les Chinois souhaitaient importer 3000 ouvriers pour faire eux mêmes le travail, a forcé le gouvernement à réduire la taille de la concession de 200 hectares.
L’épisode illustre à la fois l’attraction gravitationnelle exercée par la puissance économique et stratégique de la Chine, et les tensions sous-jacentes qui deviennent de plus en plus apparentes. Nécessités économiques et impératifs diplomatiques commencent à se heurter aux craintes nationalistes de devenir – ou de redevenir pour certains pays – des satellites de Beijing.
Au Vietnam, les plans chinois de mines de bauxite se sont heurtées à des critiques publiques sévères, au Cambodge les agriculteurs et les pêcheurs craignent pour leur terre, même en Birmanie, qui a peu d’autres amis que la Chine, les prétentions de la Chine sont surveillées avec une certaine appréhension.
Libre-échange et tensions croissantes
Les producteurs d’Indonésie, Thaïlande et des Philippines, ont peur de voir leurs marchés submergés par la concurrence de leur partenaire le plus important, avec lequel l’Asean entretient depuis plusieurs année un déficit commercial. Cependant, une récente étude de la Standard Chartered Bank montre que les exportateurs de produits de base tels que l’Indonésie et le Vietnam sont susceptibles de bénéficier de montée en puissance de la Chine, à la différence des nations comme la Thaïlande et la Malaisie dont les profils d’exportation se chevauchent avec ceux de la Chine.
La menace pour l’équilibre régional est de plus en plus pris au sérieux tant au sein de l’Asie qu’à l’extérieur, compte tenu notamment d’une vague d’achats d’armes récente par le Vietnam, la Thaïlande et la Birmanie: des pays où les militaires sont proches du centre du pouvoir politique.
Les craintes ressenties par la population ont obligé les gouvernements de la région à un exercice d’équilibre délicat. Compte tenu de la sensibilité de la Chine à la critique, ils sont amenés à tenir un cap délicat entre le souci d’apaiser les préoccupations de leurs citoyens et de maintenir de bonnes relations avec Pékin, tout en rassurant les investisseurs.
Opportunité ou menace ?
À bien des égards, la proximité de la Chine est à la fois une bénédiction et une menace pour ses voisins. À plus long terme, la montée de la Chine comme une grande puissance mondiale donne à l’ Asie, une nouvelle pertinence géostratégique en accord avec son niveau économique. Les 10 membres de l’Association des Nations du Sud-Est asiatique représentent près de 600 millions de personnes et ont un produit intérieur brut combiné d’environ 1500 milliards de dollars (€ 1090 milliards, £ 925 milliards).
À court terme, la proximité de la réussite économique chinoise a permis aux pays voisins d’émousser l’impact de la crise financière mondiale, grâce aux largesses du programme de relance intérieure de la Chine. La manifestation la plus évidente de cette manne est la marée bariolée de casinos et de terrains de golf qui bordent les frontières chinoises avec la Birmanie, le Laos et le Vietnam.
Dans de nombreuses villes le long de la frontière sino-birmane, on se croirait en Chine : les commerçants préfèrent le renminbi (dénomination officielle du Yuan) à la monnaie locale, le service de téléphonie mobile vient de China Telecom et, dans au moins un hôtel, tous les numéros de chambre commence avec un huit, un chiffre porte-bonheur pour les joueurs chinois.
Bien que la Chine ait de plus en plus d’importance en tant que partenaire commercial, elle représente encore moins d’un quart de la consommation et des exportations de l’Asie émergente, et pour de nombreux pays, elle est un concurrent direct. (Même les casinos sont pour la plupart appartenant à des Chinois)
Un contexte potentiellement explosif
La crainte qu’inspire la Chine est aussi le résultat d’un contexte historique.
«Le Parti communiste chinois a soutenu les insurrections communistes locales dans presque tous les pays de la région. Aujourd’hui certains Chinois pensent que leur rôle dans le passé a été celui d’une puissance impériale dans la région, et qu’il s’agit de leur arrière cour. Ils verraient bien un modèle du passé se réaliser à nouveau. »
rappelle Thitinan Pongsudhirak, directeur de l’Institut d’études internationales et sécurité à Bangkok.
Le sentiment anti-chinois a parfois été violent dans un certain nombre d’endroits en Asie-Pacifique au cours des 50 dernières années: il y a eu des émeutes anti-chinoises en Birmanie en 1967, des centaines de milliers de Chinois de souche ont fui le Vietnam dans le sillage de la guerre sino-vietnamienne en 1979, des dizaines de Chinois ont été tués dans des émeutes en Indonésie en 1969 et à nouveau en 1998; plus récemment, des entreprises chinoises ont été brûlées en Papouasie-Nouvelle-Guinée l’année dernière.
L’Indonésie, plus sensibles que les autres aux problèmes de concurrence, à décidé de retarder l’application de l’accord Chine-ASEAN dans des domaines importants, notamment l’acier et les textiles, et accusé la Chine de dumping sur 145 produits.
Pour sa part, Beijing est sensible à l’effet qu’elle produit sur ses voisins : la Chine a offert l’an dernier un total de 25 milliards de dollars aux pays de l’ASEAN: 15 milliards de dollars en prêts, dont 6,7 milliards $ en crédits préférentiels, ainsi qu’un fonds d’investissement de 10 milliards de dollars.
Le mois dernier, Xi Jinping, vice-président chinois et héritier présomptif de Hu Jintao, a entrepris une tournée à travers l’Asie, s’arrêtant en Birmanie pour réaffirmer le soutien de la Chine au régime militaire et pour signer plusieurs pactes de co-opération, y compris un accord pour construire un puits de pétrole et de gaz au cœur de la province chinoise du Yunnan. Au Cambodge, où la Chine est le plus grand investisseur étranger, M. Xi a signé pour 1,2 milliard de dollars de contrats.
En dépit de tout cela, le potentiel existe encore pour des affrontements violents dans le sud-est de l’Asie, notamment autour des îles Paracel et Spratly, revendiquées en tout ou en partie par Brunei, la Chine, Taïwan, la Malaisie, les Philippines et le Vietnam.
Beijing a récemment pris de l’assurance dans la mer de Chine méridionale, qui est censé contenir du pétrole et de grandes réserves de gaz. Il y a aussi des signes que le sud-est de l’Asie se réarme. Le Vietnam a récemment annoncé qu’il allait acheter six sous-marins et 12 avions de chasse à la Russie, la Birmanie a aussi fait des emplettes pour des avions de combat russes et la Thaïlande a débloqué un budget récemment pour rééquiper son armée de l’air avec de nouveaux avions de combats.
De fait l’Asie du Sud-Est est un mélange potentiellement détonant de nationalisme brut, de la concurrence économique et sur les ressources, le tout offrant un kaléidoscope de systèmes politiques, allant de la démocratie à la monarchie absolue ( Brunei) en passant par la dictature militaire en Birmanie et les régimes communistes du Laos et du Vietnam.
Olivier Languepin
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Sommes-nous en train d’assister à la fin d’un monde multipolaire ? Alors que les États-Unis sont trop occupés à résoudre leur conflit contre « l’axe du mal » et leur propre crise interne. La Chine assoit tranquillement son autorité dans la région de l’ASEAN, mate les éventuels récalcitrants et tient de plus en plus d’états locaux par le porte-monnaie. L’Europe n’a décidément pas les moyens de rivaliser. Tout le monde se réarme Nord, Sud, Est, Ouest. Tous les éléments de la prochaine guerre froide sont en train de se mettre en place…
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