Tour à tour premier ministre, régent du trône, leader de la révolution constitutionnelle de 1932, leader du mouvement Seri Thai pendant la seconde guerre mondiale ou encore fondateur de la prestigieuse université Thammasat, Pridi Banomyong a marqué la première moitié du 20ème siècle en Thaïlande.
Grâce à ses réussites et son érudition, il fut même célébré par l’UNESCO en 2000, pour les 100 ans de sa naissance, comme l’une des personnalités majeures du 20ème siècle, l’un des seuls Thaïlandais à recevoir cet honneur sans avoir été prince ou roi.
Retour sur un parcours unique.
Des rizières aux études de droit à Paris
Né au tournant du 20ème siècle, en mai 1900 à Ayutthaya, Pridi Banomyong est l’enfant d’une mère siamoise et d’un père sino-thaï dont les ancêtres étaient des chinois Hokkien.
En 1913, suite à une loi ordonnant que chacun possède un patronyme, sa famille prit le nom de Phanomyong (ensuite orthographié Banomyong), du nom du temple près duquel sa famille vivait à Ayutthaya.
Ses grands-parents paternels étaient de petit bourgeois, mais suite à la division de l’héritage, certains enfants s’en sont moins bien tirés, dont le père de Pridi devenu paysan.
Il grandit ainsi au milieu des rizières et des éléphants sauvages, découvrant de ses propres yeux les inégalités, les corvées pour ceux sans le sou et la capitation, l’impôt par tête.
A 10 ans, il se passionne déjà pour la révolution chinoise qui a lieu un peu plus au nord entre le Kuomintang inspiré par Sun Yat-sen et les troupes impériales de la dynastie des Qing.
Le jeune Pridi est très doué pour les études, ce qui lui donne à 20 ans l’opportunité de partir étudier à Paris grâce à une bourse.
Il y restera sept années, revenant au pays avec un doctorat en droit et un diplôme d’études supérieures d’économie politique.
Un élève brillant épris de liberté
Pendant ses années, grâce à ses rencontres et ses lectures, sa vision intellectuelle se forme. Il retiendra principalement l’importance de l’Etat, d’une constitution, la primauté des droits de l’homme, et le rôle de la loi pour garantir les droits et les libertés.
Surtout, le 5 Février 1927, il devient le premier leader du People’s Party (Khana Rasadon) dans une chambre de la rue Sommerard à Paris, en plein quartier latin, à deux pas de la Sorbonne.
Cette réunion regroupe sept jeunes Thaïlandais, des étudiants et de jeunes officiers militaires, dont Plaek Khittasangkha, plus connu sous le nom de Plaek Phibunsongkhram (Phibun), futur meilleur ennemi politique de Pridi, venu lui étudier à l’école d’artillerie en France.
Suite à son retour au Siam, Pridi voit une ascension rapide de sa carrière, occupant plusieurs positions importantes dont professeur à l’école de droit du ministère de la justice.
La révolution constitutionnelle de 1932
Puis vient le coup d’Etat de 1932, ce que certains ont nommé la révolution constitutionnelle, puisqu’elle amènera la première constitution de l’histoire du Royaume et mettra fin à près de 700 ans de monarchie absolue depuis l’éveil du Royaume de Sukhothai au 13ème siècle.
Au matin du 24 Juin 1932, la faction militaire du People’s Party prend sans violence le contrôle de la capitale.
Elle met aux arrêts le Prince Paribatra, régent du trône alors que le roi se trouve à Hua Hin.
Le roi Prajadhipok, qui eut l’idée et l’envie de faire une constitution sans que cela ne se concrétise, accepte les demandes du People’s Party et instaure une constitution provisoire écrite par Pridi Banomyong.
Le premier article de celle-ci stipule que le pouvoir souverain du pays appartient au peuple. Elle inclut par ailleurs le système monarchique dans la constitution et définit les prérogatives royales, tout en créant une assemblée représentative et un comité exécutif.
Dans ce premier essai, les six grands objectifs du People’s Party sont présents, à savoir maintenir l’indépendance du pays, préserver la sécurité, développer et moderniser l’économie, tendre à l’égalité des droits, assurer la liberté de tous et garantir une éducation à chacun.
Suite à des tractations politiques, la version finale, promulguée le 10 Décembre 1932, sera plus nuancée, la monarchie revenant au centre en devenant le garant du pouvoir du peuple et le bras exécutif de ce pouvoir au côté de l’assemblé législative et du cabinet ministériel.
De l’exil aux postes ministériels
En 1933, suite à un projet économique démesuré de Pridi incluant la nationalisation des terres, l’opposition et des membres de son propre parti le poussent à l’exil.
Suite à cet incident et leur perte d’influence, une faction royaliste, menée par le prince Boworadet, tentera alors de reprendre les rênes du pays par la force mais échouera à l’entrée de la capitale face aux troupes de Phibun, comme le monument de Laksi au nord de Bangkok vient le rappeler.
En 1934, Pridi revient au Siam pour fonder l’université ouverte et populaire Thammasat, dont le nom originel était Université des Sciences Politiques et Morales.
Il est dans la foulée nommé ministre de l’intérieur puis ministre des affaires étrangères en 1935. A ce poste, il va notamment mettre fin aux traités inégaux avec toutes les puissances impériales.
La seconde guerre mondiale et le mouvement de résistance Seri Thaï
En 1938, il devient ministre des finances. Après l’arrivée des japonais pendant la seconde guerre mondiale, il est nommé d’un commun accord avec Phibun, alors premier ministre, au conseil des régents après avoir refusé d’accorder un prêt aux japonais en sa qualité du ministre des finances.
Trois membres gèrent alors les intérêts de la famille royale suite aux études de Rama 8 en Suisse.
Pridi est finalement tout heureux de quitter un gouvernement qui collabore avec les japonais et d’atterrir à une position non-politique qui lui donnera du temps pour mettre en place la résistance.
Il organise ainsi à l’université Thammasat, dont il est toujours le recteur, un groupe antijaponais qui s’alliera par la suite avec les groupes formés par les services secrets britanniques et américains, devenant le mouvement Seri Thaï.
A partir de 1944, sa mission devient très périlleuse. Il doit jouer sur plusieurs tableaux en coordonnant des centres d’entraînement en province tout en restant discrètement en contact avec les alliés et les groupes Seri Thaï basés au Yunnan et en Inde sans que les japonais ne s’en rendent compte.
Par ailleurs, plus les alliés se rapprochent, plus il doit jouer de diplomatie, les exhortant à bombarder le moins possible la capitale pour éviter les dégâts collatéraux (civils) et un ressentiment de la population thaïe envers les alliés, tout en négociant déjà la fin de la guerre au nom de la Thaïlande pour ne pas que le pays fasse partie du camp des vaincus une fois celle-ci terminée.
Après un décès et une démission, il devient même l’unique régent du trône le 1er Aout 1944. Il accepte notamment la démission, en sa qualité de régent, du premier ministre Phibun en 1944.
Finalement, les forces du mouvement Seri Thaï n’auront pas eu à combattre suite à la reddition des troupes japonaises en 1945.
Par ailleurs, la Thaïlande, qui avait déclaré la guerre aux États-Unis et au Royaume-Uni sous le gouvernement de Phibun, ne souffrira presque aucunement de sanctions, en partie dû aux efforts de Pridi mais aussi aux intérêts bien sentis des américains de faire de la Thaïlande un allié de choix face au communisme triomphant dans la région.
L’instabilité politique de l’après-guerre
Après la guerre, un premier gouvernement démissionne suite à des tensions au parlement. Alors, le jeune roi Ananda, de retour, demande à Pridi Banomyong de former un nouveau gouvernement qu’il dirigerait en tant que premier ministre. Pridi accepte bien volontiers, son heure de gloire est venue.
Au pouvoir, il en profite pour implémenter en 1946 une nouvelle constitution où tous les députés et sénateurs seraient notamment élus par le peuple. Dans la foulée, le People’s Party est dissout, leur but démocratique ultime étant atteint.
Seulement, un drame allait tout changer un mois seulement après la promulgation de cette nouvelle constitution: la mort du jeune roi Ananda Mahidol. Pridi, fragilisé par cet évènement, fait le dos rond. Un conseil de régents est formé pendant que Rama 9 retourne poursuivre ses études en Suisse.
Ce conseil demande alors à Pridi de former un nouveau gouvernement suite à sa victoire dans des élections partielles.
Il accepte à reculons pour finalement démissionner volontairement quelques semaines plus tard pour préserver sa majorité et freiner les critiques de plus en plus vives à son encontre, certains l’accusant ouvertement d’être mêlé à la mort du roi.
Pris dans la tourmente des attaques personnelles et des calomnies des réactionnaires comme il les appelle, Pridi n’a d’autres choix que de s’exiler après un énième coup d’Etat en Novembre 1947 où sa maison et sa famille sont directement attaqués.
Ce nouveau coup d’Etat amende la constitution de 1946 et finira par ramener au pouvoir quelques mois plus tard l’inexorable Phibun, sorti de prison rapidement après la guerre pour vice de forme suite à la non-rétroactivité des crimes de Guerre.
Pridi s’exfiltre d’abord à Singapour, bien aidé par ses amis de la marine thaïlandaises et un capitaine anglais. Ensuite, le leader chinois Chiang Kai-Chek lui facilite l’accès au territoire chinois.
Frustré par son exil, Pridi alla contre son idéal de non-violence en tentant un baroud d’honneur contre le gouvernement militaire en devenant le leader d’un soulèvement qui échouera en 1949, appelé rébellion du Grand Palace.
Sarit Thanarat, futur dictateur alors en charge de la répression, reçu l’ordre de Phibun de bombarder le Grand Palace. Surpris d’une telle décision, Pridi et ses hommes décident alors de se réfugier au QG de la marine devant la menace de destruction de ce lieu sacré et le retard de leurs soutiens. Quelques heures plus tard, ils abandonnent leur plan.
Pridi se cacha pendant cinq mois dans un lieu secret avant de repartir en exil définitif en Chine pendant 21 ans. De 1970 jusqu’à sa mort en 1983, il vécut en France sans jamais avoir eu la chance de revoir sa terre natale.
Pridi Banomyong : un héritage en pointillé…
L’héritage de Pridi Banomyong sur la Thaïlande actuelle semble difficile à mesurer. Son idéal moral de démocratie et de bonne gouvernance semble bien loin devant les gouvernements militaires qui continuent de se succéder depuis 60 ans, les innombrables constitutions et les timides percées démocratiques, loin d’être irréprochables et qui ne durent guère.
Ce qui reste et perdure en l’occurrence sont ses nombreux écrits et ses citations pour se rappeler de sa stature intellectuelle tout autant que sa lutte pour plus d’égalité.
Physiquement, on trouve quelques rues à Bangkok portant son nom, une statue devant le campus historique de l’université Thammasat et un institut culturel dans le quartier de Thong Lor faisant office de mémorial.
Portant son nom, cet institut contient un petit musée retraçant sa vie, une bibliothèque, un groupe de recherches et organise continuellement des concerts, expositions, projections de films et autres débats et conférences en accord avec les principes de bonté bouddhique et de vérité chers à Pridi Banomyong.