Trois ans après le coup d’Etat sans effusion de sang qui a renversé Thaksin Shinawatra, l’impasse politique persiste en Thailande ou règne un sentiment diffus mais durable de malaise, sur fond de rumeurs de nouveau coup d’Etat.
Le coup d’État du 19 septembre 2006 était censé mettre fin à des mois d’agitation politique et rétablir la stabilité en la Thaïlande, mais trois années plus tard le royaume est aussi divisé et instable que jamais.
Les militaires qui avaient renversé le Premier ministre Thaksin Shinawatra ont été dans un premier temps, accueillis avec soulagement par de nombreux Thaïlandais, en particulier ceux qui manifestaient contre les abus de pouvoir de l’administration de Thaksin. Mais l’illusion d’un retour à la normale dans le sillage des chars de l’armée sera de courte durée.
Que la Thaïlande soit toujours enfermée dans une crise politique prolongée, trois ans après son dernier coup d’État militaire, suggère les généraux n’ont pas réussi dans leurs objectifs. Le coup est apparu comme ayant été plus facile à exécuter que de gérer la suite. La vie politique thaïlandaise est devenue plus compliquée, et les enjeux sont plus importants.
estime Thitinan Pongsudhirak directeur des études internationales, Faculté de science politique, Université de Chulalongkorn.
Trois ans après le retour en force des militaires dans la vie politique thaïlandaise, certaines conclusions semblent déjà installées de manière irréversible.
La première c’est l’incroyable résilience de Thaksin et du mouvement qu’il a crée dans la société thaïlandaise. Non seulement il occupe toujours le devant de la scène, mais ses adversaires n’ont pas eu d’autres choix que de copier ses politiques « populistes », sans pour autant réussir à convaincre. C’est aussi le première fois qu’un homme politique évincé par les militaires ne sombre pas plus ou moins rapidement dans l’oubli.
La deuxième conclusion que l’on peut tirer de l’actuelle situation, c’est l’impossibilité pour l’actuel gouvernement de revenir à la situation d’avant Thaksin. Les généraux avaient pour but affiché de se débarrasser de Thaksin Shinawatra, accusé de corruption. Mais ils avaient aussi semble t-il une autre mission, moins facile à assumer : défaire son héritage dans l’éveil des masses rurales thaïlandaises.
Entre 2001 et 2006 Thaksin a réveillé l’électorat rural jusqu’alors délaissé par les élites traditionnelles, qui se sent maintenant partie prenante à l’avenir de la Nation. Ces sections trop souvent négligées de l’électorat sont devenues des intervenants clés au cours des années Thaksin. Leur conscience politique s’est éveillée de façon irréversible, et après avoir imposé leur participation dans le système, ils ne veulent plus retomber dans l’oubli.
Si les militaires avait simplement tenu leur promesse de s’en prendre uniquement aux excès de Thaksin et à ses abus, par ailleurs incontestables, la solution aurait été beaucoup plus acceptable pour toute une partie de la population. La principale erreur de l’actuelle coalition est de vouloir absolument remonter le temps et revenir au statu quo ante de la période pré-Thaksin en Thaïlande. Tant que cette zone d’ombre de l’actuel pouvoir ne sera pas éclaircie, les campagnes de pacification mettant l’accent sur l’unité nationale comme la « société de modération » (mo so) ou « I Love Thailand » lancée par le Premier ministre Abhisit Vejjajiva seront incapables de mettre fin aux actuelles divisions.
Les opposants à l’actuel gouvernement jouent aussi sur une vision plus moderne de la démocratie, et critiquant l’ingérence des militaires dans la politique, ils s’estiment victime d’un conflit de classe, et décrivent leurs ennemis comme «l’aristocratie».
La Thailande semble ainsi être enfermée dans un cycle sans fin de protestations et de contre- manifestations, mais qui a aussi un prix pour tous les Thaïlandais, quelques soient la couleur de leurs chemises. La crise politique a effarouché les touristes et les investisseurs étrangers à un moment où l’économie est confronté à la récession mondiale.
L’actuelle situation est aussi rendue plus délicate par une inquiétude croissante quant à la question taboue de la succession éventuelle du roi Bhumibol Adulyadej, 81 ans et de santé fragile, qui incarne traditionnellement le rôle du personnage unificateur du pays. Les efforts incessants du gouvernement pour étouffer toute forme de débat sur l’avenir de la monarchie – par des arrestations suivies de très lourdes peines, et la censure de l’Internet – n’ont fait que renforcer le problème.
Récemment les attaques des chemises rouges se sont dirigées de façon systématique contre l’ex général Prem, accusé d’avoir organisé le coup d’Etat de 2006. Mais Prem est aussi le plus proche conseiller du roi, et d’une certaine façon s’en prendre à lui est une façon indirecte de s’en prendre à la monarchie.
Olivier Languepin