Près de trois ans après la coup d’État qui a mis fin au gouvernement de Thaksin, la Thaïlande n’a pas réussi à retrouver une véritable stabilité politique, et reste un pays profondément divisé, toujours dans l’attente d’une solution durable qui permette de réconcilier les deux camps en présence.

L’annulation de la manifestation de l’UDD (Front uni de la démocratie contre la dictature), plus connu sous le nom de “chemises rouges” apporte un peu de répit dans le calendrier, déjà bien fourni, des manifestations de rue à Bangkok. Mais il s’agit plus d’un report temporaire que d’une véritable annulation. Le déploiement massif des forces de sécurité encadrées par l’armée dans le cadre de l’ISA (internal security act) semble avoir joué un rôle dissuasif.

The Government House, une des cibles préférées des manifestants

L’application de la loi sur sécurité intérieure, qui donne à l’armée de larges pouvoir pour le maintien de l’ordre, a conduit cette fois à reporter cette nouvelle  manifestation prévue hier devant les bureaux du chef du gouvernement. Mais le Front uni pour la démocratie contre la dictature (UDD) a déclaré qu’il tiendrait un nouveau  rassemblement entre le 5 septembre et le 19 septembre.

Il est très probable que cette énième manifestation aurait donné lieu à des débordements plus ou moins violents, puisque depuis quelques jours circule sur Internet un enregistrement falsifié d’une conversation du Premier ministre appelant à réprimer durement les manifestants pro Thaksin. Une première enquête à démontré que la source probable de cet enregistrement est la société SC Asset Corporation, dont la principale dirigeante n’est autre que Yingluck Shinawatra, la plus jeune sœur de Thaksin.

L’UDD a déjà organisé quatre manifestations depuis les émeutes d’avril 2009, et la perspective de nouveaux mouvements fait redouter une nouvelle période d’instabilité après quatre ans de crise politique continue. Les chemises rouges sont aussi à l’origine d’une pétition qui a recueilli 3,5 millions signatures demandant un pardon royal pour Thaksin Shinawatra,  condamné à deux ans de prison.

L’ancien Premier ministre, a beau être en exil et condamné à deux ans de prison pour corruption, il montre qu’il peut encore mobiliser ses partisans et  déranger la coalition au pouvoir.

Selon le politologue Pitch Pongsawat de l”université de Chulalongkorn (Bangkok) :

Il y a peu d’hommes politiques en Thaïlande qui ont atteint le niveau de célébrité de Thaksin. Thaksin est peut être, de fait, en dehors du jeu politique et de la Thaïlande, mais il est tous les jours dans les médias. Nous sommes entrés dans une sorte d’ère “post Thaksin”, avec un gouvernement conservateur qui se définit comme anti Thaksin. C’est une sorte de coalition assez souple (loose coalition) qui n’a pas d’autre véritable cohésion que la volonté d’empêcher le retour de Thaksin au pouvoir

De fait les activités incessantes des partisans de l’ex premier ministre constituent un frein important pour la reprise en Thaïlande. Un rapport de la Banque Mondiale, rendu public la semaine dernière, insiste sur une variable clé de la reprise : la stabilité politique.

Utilisant une enquête auprès de 1043 entreprises effectuée entre avril et novembre 2007, le  rapport, Thailand Investment Climate Assessment Update 2008, montre que plus des deux tiers des entreprises interrogées ont jugé le climat d’incertitude économique et politique comme des obstacles majeurs ou sévères pour investir en Thaïlande.

“Quand il y a une forte incertitude sur l’environnement politique, les investisseurs et les gestionnaires d’entreprises ont tendance à craindre que tout changement de gouvernement pourrait conduire à des changements dans les politiques gouvernementales, et dans les règlements qui touchent les entreprises. Et ces préoccupations ont naturellement été reflétées dans l’enquête.”

a noté Kirida Bhaopichitr, économiste principal pour la Thaïlande, et co-auteur de l’Investment Climate Assessment Update pour la Banque Mondiale

Mais cette instabilité a aussi un coût qui commence à peser lourdement sur certains secteurs de l’économie thaïlandaise, à commencer par le tourisme. Les statistiques publiées la semaine dernière par le Smith Travel Research indiquent que Bangkok et Phuket ont été parmi les villes de la région Asie-Pacifique les plus touchées par les baisses de fréquentation hôtelières.

Bangkok parmi les plus forts reculs de fréquentation hôtelière.

De Juin 2008 à Juin 2009 sur les quatre marchés régionaux qui ont signalé une diminution de leur occupation de plus de 20%, Bangkok était en tête avec un recul de -31,6% à 46,3%, suivie par Hong Kong (-24,8% à 59,7%), Phuket (-24,8% à 36,4%); et  Osaka (-21,5% à 58,5%).

La crise qui touche actuellement le secteur de l’hôtellerie en Thaïlande, est loin d’être terminée, et pourrait encore durer, selon une étude publiée récemment par Jones Lang LaSalle Hotels.

Selon cette étude, le taux d »occupation moyen à Bangkok dans les hôtels haut de gamme restera anémique, aux alentours d’ environ 50% à 60% pour les deux prochaines années. Bangkok a enregistré la baisse la plus importante dans la moyenne des occupations de ses chambres d’hôtel dans toute l’Asie, avec le segment des cinq-étoiles segment qui enregistre une diminution de 33,3% en glissement annuel au premier semestre.

Selon un responsable d’une grande chaîne hôtelière basée en Thaïlande

La situation politique a fait beaucoup de dégâts sur le marché du MICE (Meetings, Incentive Travel, Conventions and Exhibitions), c’est à dire sur des réservations qui s’effectuent 6 mois ou un an à l’avance. Ce marché est actuellement en baisse de 70% à Bangkok, car il est beaucoup plus sensible aux troubles politiques que le marché du loisirs, et le marché du 5 étoiles s’en ressent fortement à Bangkok en particulier.

A plus long terme, on peut aussi s’interroger sur les motivations de Thaksin, dont la stratégie semble privilégier le harcèlement, au détriment de la cohérence. Demander à la fois le pardon royal, tout en appelant à manifester devant le palais royal, et à proximité des locaux du gouvernement semble répondre à des objectifs contradictoires.
Soit Thaksin est décidé à déstabiliser le gouvernement Abhisit en utilisant tous les moyens possibles (manifestations violentes, occupation de locaux gouvernementaux, enregistrements falsifiés) et en privilégiant une stratégie de rupture. Soit il estime réaliste son retour en Thaïlande dans le cadre d’une réconciliation nationale et d’un retour à l’unité.

En définitive, et quelque soit l’issue du conflit qui divise en ce moment les thaïlandais, il revient à la classe politique dans son ensemble de trouver une manière pacifique de résoudre une situation qui commence à tourner à la tragi comédie. Depuis l’intervention de l’armée en avril dernier, Thaksin ne peut plus sérieusement envisager une solution extra parlementaire à son exil, et un retour par la pression de la rue. Seule une solution négociée semble être en mesure de sortir la Thaïlande de l’impasse politique dans laquelle elle se trouve.

Olivier Languepin

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