L’Asean va-t-elle un jour devenir une communauté économique, à l’image de l’Union européenne ? Les 10 membres de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est se sont réunis à Bangkok, pour faire avancer le processus de création d’une « Communauté économique de l’Asean » (AEC).
Les enjeux de la création de ce nouveau bloc sont considérables : la Communauté économique de l’Asean formerait un marché immense de près de 584 millions de personnes, avec un PIB cumulé de plus de 1506 milliards de dollars et un volume d’échanges de 1710 milliards en 2008.
« Les investisseurs s’intéressent surtout à la profondeur et à la diversité de ce marché unique. Seuls, la plupart de ces pays ne font pas le poids »,
commente Jean-Jacques Bouflet, conseiller commercial de la délégation de la Commission européenne en Thaïlande.
Bangkok, l’un des moteurs de l’Asean et du marché unique.
La Thaïlande a tout à gagner d’une meilleure intégration économique de la région : avec un PIB de 273,6 milliards de dollars, elle est la deuxième économie de l’Asean après l’Indonésie. En termes d’investissements directs étrangers, elle se place juste derrière Singapour, avec un peu plus de 9,8 milliards de dollars reçus en 2008.
En revanche, son PIB par habitant -4116 dollars annuels- est neuf fois moins important qu’à Singapour (USD 38046). Le royaume se place ici au 4ème rang, tout comme en termes de population -66,4 millions- derrière le Vietnam, les Philippines et l’Indonésie.
Depuis la signature de l’accord prévoyant la création de la Communauté économique de l’Asean (AEC), Bangkok a joué un rôle moteur, notamment dans l’élimination progressive des barrières douanières. L’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra, qui louait les avantages d’un bloc régional pour le royaume, avait aussi poussé les autres pays membres à avancer la date de mise en place de l’AEC, de 2020 à 2015.
Selon la Charte ratifiée en décembre 2008, ce nouveau bloc se caractériserait par la libre circulation des biens, des services, des investissements et des capitaux entre les dix pays membres (Philippines, Indonésie, Malaisie, Singapour, Thaïlande, Brunei, Vietnam, Laos, Birmanie et Cambodge). L’idée est de constituer un marché attractif et une entité économique, moins dépendante des Etats-Unis. L’Asean pourrait ainsi se positionner de manière plus favorable face aux géants chinois et indiens.
L’Asean s’est donc donné jusqu’en 2015 pour faire de ce marché immense une réalité pour les investisseurs étrangers. Mais cette date est-elle réaliste compte tenu des énormes disparités qui subsistent entre chaque pays ?
Des économies très diverses
Pour parvenir à créer ce bloc régional, il faudra intégrer des économies aussi diverses que celles de Singapour et de la Birmanie. A ce titre, certains analystes parlent de l’AEC comme d’un « vœu pieux ». Avec un PIB de 511 milliards de dollars, l’Indonésie a une économie qui pèse 100 fois plus que celle du Laos, le plus petit pays de l’Asean. L’activité économique de l’Asean est aussi très concentrée sur les cinq plus importants pays que sont l’Indonésie, la Thaïlande, les Philippines, la Malaisie et Singapour qui représentent à eux seuls 90% du PIB du groupe. Pour tenter de diminuer ces disparités, un programme ambitieux d’aide aux pays en voie de développement (Birmanie, Laos, Cambodge, Vietnam…), notamment en matière d’infrastructure, de formation professionnelle et de télécommunication, semble indispensable.
Un rapport de la Banque asiatique de développement (ADB) montre par exemple qu’il faut trois jours pour importer un produit à Singapour, contre 78 au Laos. « Pour l’instant, déclarait récemment l’analyste Hiro Katsumata, de la Rajaratnam School of International Studies de Singapour, ces pays ne sont toujours pas prêts pour la Communauté économique de l’Asean.» Jusqu’à présent, une mauvaise coordination – et probablement un manque de volonté de certains pays ayant plus à y perdre qu’à y gagner- a retardé l’intégration de la région.
« Plusieurs pays sont gangrénés par la corruption. Certaines réformes proposées par l’Asean se heurtent donc à la résistance d’officiels, notamment dans le département des Douanes »,
explique un autre analyste.
Ces difficultés à se mettre d’accord s’illustrent dans les négociations de libre échange avec les autres pays. Si l’Asean a déjà conclu des FTA (Foreign Trade Agreement) avec l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, la Chine, l’Australie et la Nouvelle Zélande, les négociations avec l’Union européenne sont au point mort.
« Nous faisons une pause car les négociations n’avancent pas assez rapidement. Le problème est que dans un système basé sur le consensus, le pays le plus frileux parvient toujours à imposer son point de vue.»
tempère Jean-Jacques Bouflet, conseiller commercial de la délégation de la Commission européenne en Thaïlande. L’autre point faible dans la constitution de l’AEC, poursuit le conseiller, réside dans le fait que le commerce intra-Asean reste encore limité, contrairement à ce qui se passe dans l’Union européenne : « Les pays membres de l’Asean sont plus en concurrence qu’autre chose ». Depuis 2000 la part du commerce intra Asean est resté étonnamment stable, environ 25%, alors que le commerce extérieur de chacun des pays membre a enregistré une très forte croissance.
Début 2009, le 14ème sommet de l’ASEAN à Hua Hin a scellé un plan pour parvenir aux objectifs fixés avant 2015. Un « Accord sur le commerce des biens » (ATIGA), est censé prendre effet en octobre. Mais il reste encore beaucoup de travail pour parvenir à l’élimination des barrières douanières dans les 12 secteurs jugés prioritaires, comme l’agro-alimentaire, l’électronique, l’industrie du poisson, le tourisme ou encore le transport aérien et la santé.
Marie Normand