Les récentes inondations en Thaïlande, bien que dues également à des précipitations exceptionnelles, viennent de le rappeller: Bangkok figure sur la liste des grandes capitales qui auront à pâtir du réchauffement climatique dans les prochaines décennies.
Selon un rapport de l’OCDE publié en 2007, Bangkok figure aux cotés de Guangzhou (Canton), New York, Kolkata (Calcutta), Shanghai, Mumbai (Bombay), Tianjin, Tokyo, et Hong Kong parmi les villes les plus exposées aux conséquences des changements climatiques.
Co-rédigé par des experts issus des milieux universitaires et du secteur privé, ce rapport estime que le changement climatique et l’urbanisation pourraient entraîner un triplement du nombre de personnes exposées à des inondations côtières dans le monde d’ici 2070.
A seulement quelques jours du prochain Sommet de la Terre, Rio +20, on ne sait pas exactement combien de hauts responsables de la planète viendront et à quel type d’accord ils pourraient parvenir sur les principaux sujets qui vont être abordés, à savoir la création d’une « économie verte » et d’un « cadre international pour un développement durable ». Ce n’est pas par hasard que ces deux thèmes apparaissent associés.
Le terme d’économie verte a été forgé il y a des années – avant même le premier sommet de la Terre en 1992 – pour examiner dans une nouvelle perspective les liens entre développement durable et économie.
L’économie verte bénéficie d’un nouvel élan, car le réchauffement climatique est déjà une réalité, le coût des matières premières augmente et les ressources fondamentales telles que l’air pur, une terre arable et l’eau douce se font de plus en plus rares.
De plus en plus d’organismes scientifiques – notamment le PNUE, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, dans son rapport sur l’avenir de l’environnement mondial Global Environment Outlook-5 (GEO-5) – confirment ce qui se dessinait à Rio il y a 20 ans. C’est qui va sortir dans quelques jours.
Ceux qui ont investi dans un modèle économique et un processus de production datant du 19° ou du 20° siècle s’inquiètent du changement de paradigme.
Mais il en est de même de certains segments de la société civile qui craignent que la transition vers une économie verte ne désavantage les pauvres et n’augmente leur exposition aux risques et leur vulnérabilité.
Nous sommes convaincus que l’économie de marché ne permet pas de parvenir à un développement durable en terme de progrès social et de qualité de l’environnement. Seule des institutions fortes, accompagnées de la réglementation et de la législation voulue, le permettraient.
La crise systémique dans les secteurs alimentaires, énergétiques et financiers qui s’est exacerbée en 2008 s’enracine dans un paradigme économique qui ne prend pas en compte l’environnement et les services rendus par la nature pour entretenir la vie. Ainsi que le montre un rapport récent, Vers une économie verte : pour un développement durable et une éradication de la pauvreté, l’économie de marché a conduit à une mauvaise répartition du capital à une échelle sans précédent.
Les échecs du marché, échecs graves et étendus en matière d’émission de carbone, de biodiversité et de services rendus par l’écosystème accroissent les risques environnementaux et la pénurie en matière de diversité et s’opposent au bien-être des habitants de la planète et à la justice sociale.
C’est pourquoi le lien entre gouvernance et institutions au sommet Rio +20 est tout aussi important que la transition vers une économie verte : les marchés sont des constructions humaines qui nécessitent des règles et des institutions, non seulement pour les orienter dans la bonne direction mais aussi pour leur fixer des limites.
La nature est déjà exploitée et vendue à un prix ridiculement bas, sans rapport avec sa véritable valeur ou son utilité, en particulier pour la vie des populations pauvres.
Les critiques de l’économie verte craignent qu’une transition verte ne monétise la nature, exposant les forêts, l’eau douce et la pêche à la recherche du profit par les banquiers et les traders dont la conduite a participé au déclenchement de la crise économique et financière de ces quatre dernières années. Mais est-ce une question de monétisation de la nature ou de la valeur à lui accorder ?
Cette situation reflète en grande partie l’absence de marchés capables d’évaluer la valeur de la nature dans la vie quotidienne et l’échec des marchés non réglementés à le faire – ce que souligne le Projet du G 8+5 sur l’économie des écosystèmes et de la biodiversité sous l’égide du PNUE.
De manière très concrète, l’avenir de la planète est en jeu à Rio.
Sans une solution durable qui nous amène à reconsidérer notre pensée économique à un niveau systémique, l’échelle et le rythme de l’épuisement des ressources naturelles pourraient pousser rapidement la planète à dépasser un seuil critique et faire du développement durable un rêve irréalisable où que ce soit. Même si le multilatéralisme est un processus lent et souvent douloureux consistant à cultiver le consensus, certains problèmes sont d’une telle amplitude qu’ils dépassent les capacités d’un seul pays à y faire face.
Pourquoi le monde poursuit-il un paradigme de croissance économique qui repose sur l’érosion des systèmes qui permettent la vie sur Terre ?
Ne pourrait-on pas redéfinir la richesse de manière à ce qu’elle inclut l’accès aux biens et services de base, dont ceux fournis gratuitement par la nature, comme l’air pur, un climat stable et l’eau douce ? Le temps est venu de donner autant d’importance au développement humain, au respect de l’environnement et à la justice sociale qu’au taux de croissance du PIB.
Tout autour de nous les feux sont à l’orange, presqu’au rouge.
Mais les nouvelles technologies et l’innovation modèlent la production d’énergie, l’émergence des nouveaux marchés de l’alimentaire et de l’eau propre et la manière dont les services écologiques de base sont évalués et se raréfient.
Rio +20 est l’occasion d’un partage de savoir et d’expérience concernant une transition réussie vers une économie plus verte et plus efficace. C’est l’occasion de développer à tous les niveaux notre capacité de transformer l’économie en moteur de croissance et de création d’emplois respectueux des ressources et qui ne menace pas notre santé.
Le défi est d’accorder la réalité des pays émergents avec les valeurs sociales et l’éthique nécessaires pour parvenir à une économie verte, équilibrée et inclusive. Tel est, selon les mots du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, « l’avenir que nous voulons tous ». C’est l’avenir qui pourrait s’ouvrir si les chefs d’Etat présents au sommet Rio +20 prennent les initiatives voulues.
Achim Steiner et Pavan Sukhdev
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Achim Steiner est sous-secrétaire général de l’ONU et directeur exécutif du programme de l’ONU pour l’environnement. Pavan Sukhdev est membre de l’Ecole d’études environnementales et de sylviculture de l’Université de Yale.
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