A quelques jours de la session annuelle de dialogue stratégique et économique entre les Etats-Unis et la Chine, les Etats-Unis ont à nouveau critiqué la Chine sur le fonctionnement de son système financier. « Le secteur financier chinois est toujours dominé par de grandes banques publiques qui préfèrent prêter à de grandes entreprises publiques, et impose un contrôle total du taux des intérêts servis sur les dépôts. », a déclaré le secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, lors d’un discours à San Francisco dont le texte a été transmis à la presse. 

Depuis un certain temps, la Chine montre qu’elle veut internationaliser le yuan et promouvoir son utilisation en tant que monnaie de réserve de manière à réduire la dépendance du pays vis-à-vis du dollar américain. La décision récente d’agrandir la marge de fluctuation du yuan a d’ailleurs suivi d’autres décisions allant dans ce sens comme celle d’augmenter les quotas pour les investisseurs étrangers et celle d’élever le montant de yuan détenu à l’international pouvant être investi localement.

Depuis un certain temps, la Chine montre qu’elle veut internationaliser le yuan et promouvoir son utilisation en tant que monnaie de réserve
Depuis un certain temps, la Chine montre qu’elle veut internationaliser le yuan et promouvoir son utilisation en tant que monnaie de réserve

Un des effets secondaires de la récente crise financière, est qu’elle a accéléré les progrès du yuan (dont le nom officiel est le Renminbi, code CYN) pour devenir une grande monnaie mondiale, ce qui est une bonne nouvelle pour la Thaïlande, la Chine et ses partenaires commerciaux en Asie.

Les plans pour faire du yuan une monnaie convertible étaient déjà sur la bonne voie avant la crise, avec l’introduction de deux initiatives importantes en Chine l’année dernière: les obligations   »dim sum » et l’assouplissement progressif de la parité avec le dollar américain, ce qui permet à la monnaie chinoise de s’apprécier.

Lire aussi L’ascension du yuan: une bonne nouvelle pour la Thaïlande? – thailande-fr.com

Stephen Roach
Stephen Roach

Mais pour les Etats-Unis, la menace d’un yuan sous évalué reste le problème dominant, selon les explications de Stephen Roach, enseignant à l’université de Yale et ex-président de Morgan Stanley Asia

Depuis sept ans, la fixation des  Etats-Unis sur le taux de change de la devise chinoise, le yuan, détourne l’attention de problèmes beaucoup plus importants concernant leurs relations économiques avec la Chine. Le Dialogue stratégique et économique Chine- Etats-Unis qui va s’ouvrir prochainement est une excellente occasion pour repenser les priorités américaines.

Protéger les travailleurs américains de la menace d’une devise chinoise bon marché ?

Mitt Romney, s’est engagé à déclarer la Chine coupable de manipulation de sa devise dès son premier jour à la Maison Blanche. Picture by Gage Skidmore, http://www.flickr.com/photos/gageskidmore/

Depuis 2005 le Congrès américain a envisagé à de multiples reprises d’adopter une loi destinée à protéger les travailleurs américains en difficulté de la supposée menace d’une devise chinoise bon marché. Cette mesure bénéficie du soutien des deux grands partis depuis que les sénateurs Charles Schumer (un démocrate de gauche de New-York) et Lindsey Graham (un républicain conservateur de Caroline du Sud) ont proposé le premier projet de loi visant la devise chinoise.

Le recours à une législation s’explique très simplement : le déficit commercial des  Etats-Unis, 4,4% du PIB en moyenne depuis 2005, serait dû à la politique de taux de change de la Chine (elle compte pour 35% dans ce déficit).

Pour toute une coalition de personnalités politiques, de dirigeants d’entreprises et d’économistes, la Chine doit réévaluer sa devise ou subir des sanctions

Ce raisonnement plait à l’opinion publique américaine. Selon des sondages réalisés l’année dernière, 61% des Américains estiment que la Chine constitue une grave menace économique. En tant que tel, le débat sur la devise chinoise pourrait devenir l’un des grands thèmes de la campagne présidentielle américaine.

« Trop c’est trop », a répliqué le président Obama à une question sur le yuan à l’issue de sa dernière rencontre avec le président chinois Hu Jintao. Son adversaire républicain probable, Mitt Romney, s’est engagé à déclarer la Chine coupable de manipulation de sa devise dès son premier jour à la Maison Blanche. Mais aussi séduisante soit cette logique, elle est fausse :

– Le déficit commercial américain est multilatéral, en 2010 les USA étaient en déficit commercial avec 88 pays.

Un déséquilibre multilatéral – notamment quand il est dû à une épargne insuffisante – ne peut être combattu en mettant la pression sur un taux de change bilatéral. En réalité, la plus grande menace qui pèse sur l’Amérique vient de l’intérieur. Blâmer la Chine ne sert qu’à masquer la rude tâche à accomplir ici même : augmenter l’épargne en diminuant le déficit public et encourager les ménages à épargner plutôt qu’à compter sur une bulle des actifs.

– Depuis juin 2005 le yuan s’est apprécié de 31,4% par rapport au dollar, bien plus que les 27,5% exigés dans le projet de loi initial Schumer-Graham.

Retenant la leçon du Japon – notamment l’effet désastreux sur son économie de la brusque appréciation du yen qu’il a concédé lors de l’Accord de Plaza en 1985 – la Chine a choisi une réévaluation progressive. Les mesures récentes en faveur de l’internationalisation du yuan, un compte de capitaux plus ouvert et une marge de variation plus importante du taux de change, montre que l’on va aboutir à un yuan entièrement convertible sur les marchés.

– La Chine corrige le déséquilibre de sa balance extérieure.

Le FMI estime que son excédent des comptes courants va se réduire à seulement 2,3% de son PIB cette année, après un pic à 10,1% en 2007. De longue date, les responsables américains se plaignent d’une épargne chinoise excessive qui serait une cause fondamentale de l’instabilité mondiale. Mais ils devraient se regarder dans le miroir : le déficit des comptes courants américains, estimé à 510 milliards pour cette année, sera probablement 2,8 fois plus élevé que l’excédent chinois.

– Enfin la Chine est passé du stade d’usine du monde à celui de chaîne de montage de la planète.

Des études montrent que 20 à 30% des exportations chinoises vers les USA comportent une valeur ajoutée en Chine même. Quelques 60% des exportations chinoises proviennent d’entreprises à capitaux étrangers (des filiales chinoises de grosses multinationales, Apple par exemple). Des plates-formes de production mondialisées introduisent un biais dans les statistiques sur les échanges commerciaux sino-américains, ce qui n’a pas grand chose à voir avec le taux de change.

Plutôt que de dénigrer la Chine en l’accusant d’être la principale menace économique qui pèse sur l’Amérique, il faudrait refonder les relations sino-américaines dans un sens positif.

L’essentiel  de la demande agrégée américaine – celle des consommateurs – est des plus fragiles. Les ménages étant contraints de donner la priorité à un désendettement souvent important, leur consommation (ajustée en fonction de l’inflation) ne croit que de 0,5% par an depuis quatre ans et il leur faudra probablement encore quelques années pour assainir leurs finances. C’est pourquoi les Etats-Unis recherchent désespérément de nouvelles sources de croissance.

Ils comptent en priorité sur les exportations. Or la Chine est maintenant le troisième importateur mondial et celui qui connaît la croissance la plus rapide. Son potentiel pourrait donc combler le vide laissé par les consommateurs américains. Il faut pour cela que les Etats-Unis accèdent au marché chinois. Historiquement la Chine a un modèle de développement ouvert, avec des importations à hauteur de 28% de son PIB depuis 2002 – un taux presque trois fois supérieur à celui du Japon, 10% lors de sa période de forte croissance entre 1960 et 1989). Aussi est-elle bien disposée à l’égard des importations dans le cadre de sa politique de relance de la consommation intérieure.

Avec l’émergence du consommateur chinois, la demande chinoise pour un large éventail d’importations américaines (allant d’une nouvelle génération de produits liés à la technologie de l’information et aux biotechnologies, aux composants automobiles et à l’aviation) devrait augmenter, et il en est de même à l’égard des services.

Représentant seulement 43% du PIB, le secteur des services est relativement modeste en Chine.

Il y a donc largement de la place en Chine pour les entreprises de services américaines qui travaillent à l’international. C’est vrai notamment dans le secteur de la distribution qui suppose des transactions fréquentes (le commerce de gros et de détail, les transports intérieurs et les chaînes d’approvisionnement logistiques) et dans les segments de la finance, de la santé et de la gestion des stocks qui nécessitent un traitement des données.

Les Etats-Unis doivent recentrer leur politique commerciale à l’égard de la Chine de manière à pénétrer plus facilement ses marchés.

Il leur faut pour cela lutter contre la politique chinoise qui donnent la priorité à l’innovation et aux produits chinois et à l’achat de produits chinois par l’Etat. Il y a eu quelques progrès, mais il faut faire plus – par exemple pousser la Chine à signer l’Accord sur les marchés publics de l’Organisation mondiale du commerce. Les USA doivent aussi reconsidérer les restrictions vieillottes datant de la Guerre froide sur la vente de produits de haute technologie à la Chine.

Pour les Etats-Unis qui ont besoin à tout prix de croissance, l’intérêt d’accéder au marché chinois l’emporte largement sur la menace que ferait peser un yuan sous-évalué. Or le consommateur chinois est sur le point de se réveiller. Compte tenu de leur capacité remarquable à conquérir de nouveaux marchés, c’est une opportunité extraordinaire pour les Etats-Unis. Honte à eux s’ils laissent échapper leur chance en traînant des pieds lors du prochain Dialogue stratégique et économique Chine-USA.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz, introduction et intertitres de la rédaction

Stephen Roach est enseignant à l’université de Yale et ex-président de Morgan Stanley Asia. Il a écrit un livre intitulé The Next Asia.

© Project Syndicate 1995–2012

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