De nombreux Thaïlandais, y compris parmi des membres du gouvernement, des médias ou des forces de police, sont encore persuadés que l’avortement est complètement illégal dans leur pays.

Mais la réalité est bien plus compliquée : la loi thaïlandaise interdit bien en principe l’avortement, mais prévoit aussi un certain nombre d’exceptions.

En réalité de nombreux IVG sont réalisés en toute légalité, à condition de bien connaitre la loi et de savoir l’utiliser.

Face à une population souvent  peu informée, l’interruption volontaire de grossesse dans un cadre médicalisé et légal, ou IVG, reste à ce jour peu pratiquée, et difficilement acceptée dans la culture thaïlandaise.

En mars 2012, l’annonce publique de l’avortement du mannequin thaïlandais, Pilawan Areerob, il y a quelques mois à Bangkok, relance le débat de société sur un sujet qui reste tabou en Thaïlande.

Muay Maxim
En mars 2012, l’annonce publique de l’avortement du mannequin thaïlandais, Pilawan Areerob, avait relancé le débat sur l’IVG

Dans sa déclaration, le mannequin du magazine masculin Maxim, plus connu sous le nom de « Muay Maxim », a annoncé avoir été incité à avorter par son ancien compagnon, le célèbre Howard Hang célèbre chanteur thaïlandais- taiwanais. L’intérêt médiatique pour son histoire et le débat qui en a découlé ont suscité entre autres la condamnation de la jeune femme.

Protéger la santé de la femme

Le code criminel thaïlandais prévoit, dans les sections 301 à 305, que l’avortement doit être reconnu comme un délit éligible à des sanctions d’après le système judiciaire thaïlandais. Cependant, si la grossesse est due, ou liée à une affaire de viol ou d’abus sexuel, ou si le fœtus est médicalement en danger, l’interruption volontaire de grossesse devient alors légale.

Cette dernière section stipule aussi que toute intervention effectuée sur ordre médical pour protéger la santé physique et psychologique de la femme ne peut être reconnu comme une offense à la loi.

Cette dernière stipulation, peu connue du grand public, est pourtant un élément clé du problème. En effet, comme l’explique Nattaya Boonpakdee, coordinatrice de la « Fondation de la défense de la santé des femmes », au Bangkok Post, en Thaïlande,

« Une femme ne peut pas simplement entrer dans un hôpital et demander une IVG. Elle doit passer par un médecin qui lui accordera une autorisation. »

Un refus lié à la religion

Cependant, les médecins refusent généralement d’accorder cette requête, pour des raisons d’éthique ou de crainte d’enfreindre la loi. Mais le plus souvent, leur refus est surtout lié à la religion, basée sur le principe que prendre une vie est un péché.

Ce qui revient à dire que si ces femmes ne connaissent pas les bonnes personnes, les probabilités sont fortes qu’elles ne trouveront pour pratiquer leur IVG que des conditions déplorables, dangereuses, voire mortelles.

war arun dawn temple
Le bouddhisme ne dit rien sur l’avortement mais précise que tuer est interdit. Les gens sont donc fortement opposés aux avortements

Pour celles qui ne souhaitent pas prendre de tels risques, la grossesse non désirée devient la seule issue. Ainsi, un sondage du Conseil de la Population de 2002 rapporte que 45 femmes enceintes sur 100 disent ne pas se sentir prête à devenir mère.

Un pourcentage élevé pour un pays qui autorise officiellement l’accès à l’avortement pour les femmes qui ne seraient pas prêtes psychologiquement.

« Même si refuser le traitement médical légal d’un patient est, dans les standards internationaux, un affront à l’éthique, pour de nombreux directeurs de centres médicaux, c’est une question de croyances personnelles. »

explique Mme Boonpakdee. C’est pour cette raison que parfois même avec l’accord du médecin, les centres médicaux ne donnent pas l’autorisation à ce dernier pour opérer. Contraignant les patientes à se tourner vers des méthodes moins légales, et surtout plus dangereuses.

« Le bouddhisme ne dit rien sur l’avortement mais précise que tuer est interdit. Les gens sont donc fortement opposés aux avortements »,

a pour sa part expliqué le directeur de l’Association de planification familiale Montri Pekanan l’année dernière au Petit Journal de Bangkok.

L’avortement: une pratique courante en Thaïlande

Les dernières études de la Fondation de la défense de la santé des femmes sur le sujet datent de 1999. On comptait alors plus de 45 000 femmes souffrantes suite à un avortement à complications, et plusieurs centaines de milliers pour qui tout s’était bien passé.

En moyenne, entre 300 000 et 400 000 avortements illégaux auraient lieu chaque année en Thaïlande, comparativement à 220 000 de nature légale en France, un pays avec environ la même population (à noter que ce chiffre ne prend pas en compte le nombre de femmes qui partent avorter dans les pays voisins).

Entre 12 et 15% seraient des adolescentes.

Des chiffres prouvant que l’avortement, accepté ou non, est bel et bien devenu une pratique courante en Thaïlande ces dernières années.

« La priorité aujourd’hui est que toutes les femmes qui pourraient être confrontées à un tel choix soient au courant de leurs droits et de leurs possibilités,  notamment pour éviter des actes désespérés qui peuvent avoir lieu dans certains cas de grossesses non désirées »

a déclaré M. Mechai, propriétaire du restaurant Cabbage & Condoms et du planning familial affilié à ce dernier à Bangkok. Il a cependant admit que le sensationnalisme des médias thaïlandais sur le sujet rendait à ce stade toute évolution impossible.

« La société doit donner l’opportunité aux femmes de sortir de l’ombre et de parler de leurs points de vue sur ce sujet, a-t-il ajouté. Je suis attristé par l’ignorance évidente des faits actuels, qui dénonce bien le problème auquel font face les femmes de notre société. »

Cadavres de foetus Bangkok temple
En novembre 2010, la découverte macabre de 2000 foetus morts ans un temple avait brièvement relancé le débat sur une légalisation de l’avortement

2000 foetus morts découverts dans un temple

Le débat avait déjà été relancé récemment, en novembre 2010, lors de la découverte de 2.000 fœtus dans un temple de Bangkok. En réponse au drame, le gouvernement avait alors promis un assouplissement de la loi.

Cependant, les raids menés contre les cliniques suspectées d’être illégales, et les discours de prévention interdisant entre autres toutes relations sexuelles avec les femmes de moins de 20 ans n’ont fait qu’aider à renforcer le sentiment d’interdiction qui incitent les jeunes femmes à se tourner vers ces méthodes illégales et risquées.


L’annonce du gouvernement d’assouplir la législation avait alors été bien accueillie par les associations, cependant le parti démocrate au pouvoir avait hésité à aborder cette question en pleine année électorale.

Des bloggeurs thaïs révoltés

Suite au scandale du mannequin Maxim, de nombreux bloggeurs thaïs n’ont pas hésité à exposer leur colère sur le web, dénonçant entre autres le caractère ridicule d’une situation dans laquelle la jeune femme, son ex-ami, et l’établissement qui aurait pratiqué l’avortement, sont présentés comme « les méchants », et la police, celle qui puni et fait respecter la loi, comme le « héro » de l’histoire.

« Nous parlons ici de la loi obsolète qui tue plus de 1000 femmes par an. Elles meurent parce que la loi les empêche d’avoir accès à des services médicaux sécurisés afin de mettre fin à leur grossesse non désirée. Elles sont ensuite obligées de se tourner vers des médicaments dangereux pour provoquer elle-même l’interruption de grossesse. Souvent, cette dernière n’est pas terminée et les femmes subissent des complications parfois mortelles. Et personne ne réussit à faire modifier la loi, parce que la société croit que conserver l’apparence de la morale vaut plus que de sauver la vie de ces femmes. »

On estime à 50 millions chaque année le nombre d’avortements dans le monde.

Les régimes soviétiques ont été les précurseurs, légalisant l’IVG dès les années soixante, avec des taux records (en moyenne deux avortements pour une naissance). Dans les années 70, les pays dit développés ont suivi.

Aujourd’hui, les pays récalcitrants, comme la Pologne ou l’Irlande en Europe, et de nombreux pays en voie de développement, subissent de plus en plus de pressions.

Depuis les légalisations diverses depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, plus d’un milliards d’avortements légaux ont été réalisés dans le monde.

En Europe, une grossesse sur cinq se termine par un avortement (18,5%). On compte en moyenne 1,2 millions d’avortements par an rien que dans l’Europe des 27. La France, le Royaume Uni et la Roumanie sont les trois pays qui le pratiquent le plus, avec respectivement 209 700 cas par an, 194 000 et 105 000 cas par an.

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